Avis de tempête dans le transport maritime mondial

[ 14/10/08 ]

Confronté à un ralentissement de la demande de transport coïncidant avec l'accroissement de la flotte et aux conséquences de la crise financière, le monde du « shipping » va vivre des heures sombres.

Victime du ralentissement de l'économie qui se propage à toute la planète, mais aussi de ses propres abus qui l'ont conduit à prendre commande d'une quantité impressionnante de nouveaux navires devant entrer en service d'ici à 2013, le transport maritime mondial de marchandises s'apprête à essuyer un très gros coup de tabac. 

Depuis quelques semaines en effet, nombre d'indicateurs chutent de manière inquiétante. Dans le vrac sec, c'est-à-dire le transport de minerai de fer, de charbon ou de céréales effectué par des navires vraquiers, le Baltic Dry Index s'effondre depuis quatre mois. 

Etabli sur une moyenne des prix pratiqués par les armateurs sur 24 routes mondiales de transport de vrac, cet indice s'établissait à 2.221 points vendredi contre un plus haut historique de 11.793 points le 20 mai. En l'espace de quatre mois, le Baltic Dry Index a ainsi été divisé par quatre, reculant à ses niveaux de 2005. Ce qui revient à dire que le revenu d'un armateur qui loue la capacité de transport de son vraquier sur le marché spot a, lui aussi, fondu des trois quarts.

Quasiment le seul professionnel du « shipping » à avoir prévu ce brutal retournement de conjoncture, Philippe Louis-Dreyfus, président du groupe familial Louis Dreyfus Armateurs (1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, dont 40 % dans le vrac), expose ci-dessous les raisons profondes de ce coup de tabac.

Difficultés majeures

Mais le vrac n'est pas une exception. Victime du même effet de ciseau - le ralentissement de l'économie mondiale coïncide avec l'accroissement de la flotte -, le transport de conteneurs court lui aussi au-devant d'une mer agitée, avec, selon les statistiques du courtier maritime Barry Rogliano Salles, 1.410 navires porte-conteneurs à livrer dans le monde d'ici à 2013, soit un tiers de la flotte actuellement en service. 

« Le convoi d'un conteneur de 40 pieds entre l'Asie et l'Europe ne se facture déjà plus que 350 à 400 dollars contre 1.400 dollars il y a un an alors que, sur les axes Asie-Europe et Asie-Amérique, on n'observe pour l'heure qu'un ralentissement de la progression des exportations chinoises et pas encore une baisse de ces exportations », témoigne Raymond Vidil, président de l'armateur marseillais Marfret et responsable de la section lignes régulières de l'organisation patronale Armateurs de France. Il ajoute : « A l'exception du prix - encore stable - demandé par un chantier naval pour construire un navire, les autres indicateurs s'infléchissent : louer un porte-conteneurs de 2.500 «boîtes» coûtait 25.000 dollars par jour en début d'année, 18.000 dollars aujourd'hui. Et depuis le début de l'été, on note une inflexion significative dans le prix d'un porte-conteneurs de deuxième main. »

Compte tenu, par ailleurs, de l'ampleur de la crise financière mondiale, les professionnels du transport maritime pourront-ils faire face ? A l'occasion, la semaine dernière à Athènes, d'une conférence sur le financement de la marine marchande, Sypros Polemis, président de la Chambre internationale des armateurs, ne cachait son scepticisme, déclarant : « Les armateurs grecs ont passé un grand nombre de commandes pour la construction de nouveaux bateaux ces dernières années et cette crise menace leur financement. » Il faut donc s'attendre à une vague d'annulations de commandes - ce qui n'est pas facile à orchestrer pour un armateur, car il risque d'y perdre ses acomptes déjà versés au chantier naval - et à une série de difficultés majeures chez les transporteurs. Y compris pour les plus prudents d'entre eux. 

« Dans le conteneur, nous étions trop petits pour tenter notre chance en Asie et sommes sagement restés sur nos marchés traditionnels intra-Méditerranée et Méditerranée-Caraïbes, témoigne Raymond Vidil. Mais nous risquons un choc en retour : secoués en Asie, les grands armateurs mondiaux vont désormais tenter de chasser sur nos terres. ».