L'indépendance des groupes miniers en péril

MASSIMO PRANDI - Les Echos - [24/02/09 ] 

Le vent a tourné dans l'univers minier. Les maîtres despotiques des ressources naturelles roulent les uns après les autres dans la poussière. Le long cycle haussier des prix des matières premières initié en 2002 a donné les ailes à une consolidation d'une ampleur inédite. Entre 2005 et 2008, de 550 à 600 milliards de dollars ont été mobilisés par les fusions minières. La règle était de proposer des primes de l'ordre de 30 % par rapport à la valeur boursière des entreprises cible d'opérations de consolidation et d'offrir deux tiers du prix en cash.

Propulsée par la course à la taille critique, la capitalisation n'avait de cesse de gonfler. Quand BHP Billiton a mis sur la table près de 150 milliards de dollarsparéchange d'actions pour s'emparer de Rio Tinto, la direction de celui-ci a refusé dédaigneusement l'approche en considérant qu'elle ne valorisait pas assez ses actifs. Les 90 milliards avancés il y a un an par Vale n'ont pas non plus suffi à convaincre Xstrata et son actionnaire Glencore d'abandonner leurs autres exigences. Des montagnes de dettes ont été accumulées dans les bilans. Les banques accédaient à toute demande de financement. Les rares Cassandre qui dénonçaient la formation d'une bulle boursière des mines prêchaient dans le désert. L'envolée s'est poursuivie jusqu'à l'été 2008. Puis, avec le durcissement de la crise financière, la construction du nouveau paysage minier s'est effondrée comme un château de cartes.

Minées dans leurs bilans, les banques ont durci les conditions d'octroi des crédits. Les capitaux se sont soudainement raréfiés. Les transactions en cours ont laissé des traces indélébiles. Rio Tinto, Teck Cominco et OZ Minerals, trois poids lourds du secteur, sont pris au piège. D'autres, Xstrata, Norilsk Nickel et Freeport McMoRan vacillent après une saison d'acquisitions cher payées. Anglo American, qui s'est pourtant cantonné à racheter des mines, affiche un taux d'endettement élevé. BHP Billiton et Vale retirent à temps leurs offres respectives sur Rio Tinto et Xstrata. Leurs bilans sont saufs.

Selon un analyste, le cumul des dettes nettes des cinq principales entreprises minières cotées à Londres - Rio Tinto ; BHP Billiton ; Xstrata ; Anglo American et Kazakhmys - devrait tourner autour de 70 milliards de dollars en 2009. Et ce malgré la mise en oeuvre de stratégies agressives pour alléger le fardeau. Le ratio moyen dette nette sur capitaux propres avoisinerait cette année les 46 %, alors que deux d'entre elles - BHP Billiton et Kazakhmys - devraient afficher un taux de l'ordre de 17 %. Pour les sociétés en difficulté, les solutions qui s'imposent ne sont pas nombreuses. La première est de recourir massivement au marché. Xstrata est en passe de réussir le coup aussi en vertu du soutien indéfectible de Glencore, son actionnaire de référence qui se charge également de la commercialisation d'une portion conséquente de ses produits. Mais les poches des prêteurs ne sont pas sans fond. Loin de là.

A ce jeu, les premiers sont les mieux servis. Et il n'y en aura pas pour tout le monde. Deuxième solution, procéder à des coupes claires dans ses actifs en les cédant ou en les fermant. Malheureusement, le revenu de ces opérations est loin d'être suffisant. Les ventes procèdent au ralenti. Les acquéreurs paient peu et ne prêtent attention qu'aux actifs les plus juteux.

Dernier recours contre le risque de cessation de paiements, s'adosser à un partenaire puissant et riche en liquidités. Aujourd'hui, il n'y a que les groupes étatiques chinois comme Minmetals et Chinalco à accepter de débourser des sommes importantes. Gourmands de ressources minérales, soupçonnés de vouloir s'emparer des richesses naturelles du monde entier, les Chinois ne sont pas toujours les bienvenus. Mais leur apport en cash représente, pour certaines firmes minières, le seul moyen d'éviter la faillite. C'est le cas d'OZ Minerals, convoité par Minmetals ou de Fortescue, en ligne de mire du fonds souverain et d'un sidérurgiste chinois. Rio Tinto lui-même a dû accepter l'aide intéressée de Chinalco. Avec les 19,5 milliards de dollars que le chinois lui propose, ses graves problèmes de gestion de la dette disparaîtront d'un coup. Et Rio Tinto n'est pas OZ Minerals. Si la transaction aboutit, ce qui est loin d'être assuré à ce stade, il gardera la maîtrise opérationnelle de ses mines. En revanche, il est fort probable qu'il perdra le plein pouvoir sur la commercialisation et les prix de ses produits. Chinalco, devenu son actionnaire à 18 %, ne manquera pas de faire valoir les raisons de Pékin et des clients chinois. Le jeu d'influence au sein de son conseil d'administration entre les représentants des actionnaires occidentaux et ceux de Chinalco pourrait se solder en un bras de fer de chaque instant. L'indépendance des groupes miniers n'est pas seulement menacée dans les pays occidentaux. En Russie, le Kremlin s'est brutalement invité au conseil d'administration de Norilsk Nickel en profitant des combats de coqs des oligarques. Ces derniers ont dû rendre les armes pour obtenir des banques d'Etat les refinancements nécessaires de leurs dettes astronomiques. Ici aussi, les actionnaires sont les grands perdants.