L’Union africaine refuse l’idée d’un mandat d’arrêt visant le président soudanais

L’émission d’un mandat d’arrêt international visant le président soudanais, Omar El Béchir, pourrait avoir «un impact très négatif» sur le processus de paix au Darfour, province de l’ouest du Soudan en conflit armé depuis 2003, a affirmé le commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine (UA), Ramtane Lamamra. Intervenant depuis Doha au Qatar, à la veille d’une réunion ministérielle de quinze pays arabes et africains pour discuter de la situation au Darfour, le Commissaire Lamamra s’est inquité des récentes déclarations et initiatives de la Cour Pénale Internationale [CPI].

Pour rappel, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, avait accusé en juillet 2008 le président soudanais de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour. Les juges de la CPI pourraient décider sous peu d’émettre un mandat d’arrêt, alors que cette position a été à maintes fois rejetée par l’Union africaine. Pourtant, suite à une enquête qui a duré trois ans sur l’ordre du Conseil de sécurité de l’ONU, le procureur général de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a conclu qu’il y avait des motifs valables pour croire que Bashir porte la responsabilité des crimes en relation à 10 chefs d’accusation de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Moreno-Ocampo présume que Bashir a organisé et mis en œuvre un plan pour détruire en grande partie les groupes des Fur, des Masalit et des Zaghawa au Soudan, à cause de leur ethnie. "Ses motifs étaient largement politiques. Son alibi était une ‘contre-insurrection’. Son intention était le génocide", a souligné le procureur dans ses preuves présentées à la Chambre d’accusation, le 14 juillet 2008.

L’ONU estime que le conflit au Darfur a fait 300.000 morts en cinq ans alors que plus de 2,7 millions de personnes ont été déplacées.

Réuni avant le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, le Conseil exécutif de l'UA, rassemblant les ministres des Affaires étrangères des 53 Etats membres, a par ailleurs adopté une "décision sur la demande par le procureur de la Cour pénale internationale d'un mandat d'arrêt" contre M. Béchir. Réitérant son "engagement indéfectible à lutter contre l'impunité", l'UA estime néanmoins "que compte tenu du caractère délicat des processus de paix en cours au Soudan, l'approbation de cette requête risque de compromettre sérieusement les efforts en cours".

Une analyse publiée le 27 janvier 2009 par ‘Foreign Policy in Focus’, un groupe de réflexion basé aux Etats-Unis, offre une toute autre analyse. "Ce sera une année critique pour l’avenir du Soudan. La crise au Darfur a évolué et affecte maintenant toute la stabilité de la région. La force conjointe de maintien de la paix ONU-UA autorisée en juillet 2007 demeure trop en sous-effectif et sous-équipée pour être efficace", indique le rapport. "Les déplacements et les massacres des civils au Darfur se sont poursuivis toute l’année 2008 puisque la MINUAD était réduite à des spectateurs à cause des insuffisances graves de troupes, de transport routier, et d’hélicoptères".

Pour le conseiller diplomatique du président Béchir, Mustapha Osman Ismael, "l'UA a pris position en demandant auparavant un report (...) Nous soutiendrons toute décision qui sera prise par l'UA. Comme elle a démontré un soutien solide au Soudan dans le passé, nous nous attendons une nouvelle fois à ce soutien".

La situation a été rendue encore plus complexe suite a la publication des les conclusions d'un rapport du Haut commissariat de l'ONU pour les droits de l'homme et de la Minuad, la Mission de maintien de paix ONU-Union africaine au Darfour. Ce rapport accuse l'armée soudanaise d'avoir violé les droits de l’homme en ouvrant le feu contre des déplacés du camp de Kalma, au Sud-Darfour, en août 2008. Il y avait eu 33 morts. Les autorités considèrent le camp de Kalma, où vivent de nombreux représentants de groupes rebelles, comme un foyer du crime. Le conflit au Darfour, où s'affrontent depuis 2003 forces gouvernementales appuyées par des milices arabes et une myriade de mouvements rebelles, a fait jusqu'à 300 000 morts, selon l’ONU, quelque 10 000 selon le régime de Khartoum. Khartoum a nié les accusations arguant que la police et la sécurité étaient en légitime défense au moment d'entrer dans le camp.

Outre le cas soudanais, les dirigeants du continent ont le sentiment que seuls des Africains sont visés par la CPI. Ainsi, selon le président de la Commission de l'UA, Jean Ping, "ce qui émerge du débat que nous avons est qu'il y a un problème à ce que la CPI ne vise que des Africains", "Vous voulez être juge d'accord, mais un juge doit être impartial (...) La loi doit s'appliquer à tous et pas seulement aux faibles". Qu'a-t-on "fait sur Gaza, sur l'Irak, au Kosovo, au Sri Lanka? (...) Ce que nous refusons c'est le deux poids deux mesures", a insisté M. Ping. Pour les Africains, selon lui, une solution serait effectivement "de juger nous-mêmes les criminels, c'est pourquoi nous avons décidé de mettre en place un panel de haut niveau pour nous y aider", un panel qui pourrait être dirigé par l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki.

Les critiques du président de la Commission surviennent peu après l'ouverture à La Haye du procès d'anciens chefs rebelles congolais (République démocratique du Congo), Jean-Pierre Bemba et Thomas Lubanga. Selon M. Ping, le droit international ne doit pas être brandi comme un gros bâton par les grandes puissances pour battre les nations faibles. « Nous sommes contre une justice sélective. Pour être juste, le président géorgien, qui est accusé par la Russie de génocide, doit faire face à une justice similaire ». Il a rappelé que l'UA avait invoqué l'Article 16 du Statut de Rome, portant création de la CPI, pour suspendre le mandat d'arrêt contre le président soudanais. M. Ping a tenu à préciser que l'invocation de l'Article 16 ne doit pas être interprétée de façon à laisser entendre que le continent tolérait l'impunité, tout en reconnaissant qu'il existait de sérieux problèmes de gouvernance sur le continent "que nous devons régler de toute urgence".

Un dossier emblématique est par ailleurs en cours, bloqué depuis plus de deux ans, celui de l'ancien président tchadien Hissène Habré détenu en attente d'un jugement au Sénégal.

Autre dossier épineux, la procédure engagée contre Mme Rose Kabuye, chef du protocole du président de la république du Rwanda. Sous le coup d'un mandat d'arrêt international délivré en 2006 par la France, Mme Kabuye a été interpellée le 9 novembre en Allemagne et transférée à Paris où elle a été mise en examen. Son interpellation avait déclenché une vague de manifestations au Rwanda. Elle est soupçonnée d'être impliquée dans l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président rwandais de l'époque Juvénal Habyarimana, tué dans l'explosion avec l'équipage français.