Les "terres rares" au coeur d'un contentieux commercial entre la Chine et le Japon

Source: Philippe Mesmer | Le Monde | 24.09.10

La libération du capitaine d'un chalutier chinois, arrêté début septembre près d'îlots que le Japon et la Chine se disputent, va-t-elle permettre de résoudre le contentieux commercial que son arrestation avait suscité ?

Après cet incident, des négociants de maisons de commerce nippones ont constaté la suspension des exportations chinoises de métaux rares vers l'Archipel, en dépit des démentis de Pékin. La Chine avait déjà annoncé, en juillet, son intention de réduire, à partir de la fin 2010, de 72 % à 8 000 tonnes ses exportations de ces composés métalliques indispensables à la fabrication de produits de haute technologie, dont il assure 97 % des exportations mondiales.

Mais sa politique restrictive avait irrité l'Europe, qui avait déposé, en 2009, une plainte à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour protectionnisme déguisé. Les Etats-Unis et le Mexique s'étaient joints à elle.

Principal importateur des terres rares chinoises (30 000 tonnes en 2009), Tokyo avait choisi la négociation pour infléchir la position de Pékin. Ces matériaux entrent dans la fabrication de turbines éoliennes, d'écrans plasma, de téléphones portables ou de véhicules hybrides (fonctionnant à la fois à l'électricité et à l'essence), le coeur de la croissance nippone.

Les 7 et 8 septembre, une délégation du monde des affaires, menée par Hiromasa Yonekura, président de l'organisation patronale Keidanren, a rencontré des dirigeants chinois. Mitsuo Ohashi, de Showa denko, a fait valoir que "les groupes chinois qui importent des composants fabriqués au Japon avec ces métaux rares pourraient être affectés".

Forte hausse des prix

Fin août, six ministres, conduits par celui des affaires étrangères Katsuya Okada, étaient allés en Chine pour parler de coopération économique. Sur les métaux rares, le dialogue est resté au point mort, Pékin considérant que la réduction des exportations doit éviter tout risque d'épuisement des ressources et protéger l'environnement. La Chine insiste sur la nécessité de lutter contre les mines illégales et rappelle que l'extraction nécessite l'usage de produits chimiques très toxiques.

La situation quasi monopolistique de la Chine incite les groupes nippons à trouver de nouveaux fournisseurs. Toyota doit démarrer l'exploitation d'une mine vietnamienne en 2012 ; un projet du gouvernement et de la maison de commerce Sumitomo est en cours au Kazakhstan ; des sociétés négocient au Brésil et au Canada.

Dans le même temps, les industriels développent des technologies alternatives. Pour remplacer des éléments tels que le néodymium ou le disprosium, essentiels à la fabrication des rotors magnétiques des moteurs, Hitachi utilise de l'oxyde ferrique. Le géant du textile Teijin et l'université du Tohoku travaillent à la mise au point d'un moteur dont la partie magnétique serait en matériau composite mêlant fer et azote.

En 2010, les ministères de l'économie et de l'environnement ont débloqué 600 millions de yens (5,6 millions d'euros) pour la mise au point de nouvelles techniques de recyclage des produits électroniques. Baptisés "mine urbaine", ces produits usagés recèlent des éléments tels que l'indium, indispensable à la fabrication des écrans à cristaux liquides.

D'ores et déjà, les groupes japonais subissent une forte hausse des prix des terres rares. Cela pourrait les inciter à délocaliser leur production en Chine et donner raison à ceux qui voient dans la politique de Pékin une stratégie pour s'approprier une plus grande partie de la valeur ajoutée et pour attirer sur son sol des sociétés maîtrisant les technologiques de pointe. Une chose est sûre : la libération du capitaine du chalutier chinois ne suffira pas à elle seule à résoudre la problématique des terres rares.