Vives tensions autour des zones économiques spéciales indiennes

[20/03/07] SATYA MADAN, Les Echos

Le développement des zones économiques spéciales se heurte de plein fouet aux petits paysans, qui refusent de céder leurs terrains. En attendant, les investisseurs s'impatientent.


Démocratie oblige, l'industrialisation s'avère bien plus compliquée en Inde qu'en Chine. L'Etat du Bengale-Occidental, au nord-est du pays, a ainsi dû abandonner, ce week-end, un gigantesque projet, développé en partenariat avec le groupe indonésien Salim, après que le face-à-face qui opposait les autorités aux paysans du hameau de Nandigram a tourné au bain de sang la semaine dernière.

Refusant de céder leurs terrains pour un complexe chimique de 6.000 hectares, les paysans de la région bloquaient l'accès au site depuis le début du mois de janvier, lorsqu'une première série d'affrontements entre partisans et opposants au projet avait déjà fait sept morts. Mercredi dernier, les autorités ont finalement envoyé plusieurs milliers de policiers pour « rétablir l'ordre ». Débordées par la foule qui les attendait, les forces de l'ordre ont fini par ouvrir le feu. Bilan : 14 morts et plus de 70 blessés. Samedi, le gouvernement régional annonçait que le complexe serait finalement érigé sur un autre site, qui reste à déterminer.
Créer des emplois non qualifiés

Ce drame incarne les difficultés que rencontre la nouvelle politique indienne des zones économiques spéciales, dans lesquelles les investisseurs indiens et étrangers bénéficient d'une fiscalité allégée. Une politique qui vise à renforcer le secteur industriel, notamment pour faire face à la Chine, et à créer des emplois non qualifiés. Aussi spectaculaire soit-elle, la croissance indienne (+ 9 % l'an dernier, + 9,2 % attendus cette année) repose, en effet, principalement sur le secteur des services, qui ne crée que des emplois qualifiés. L'agriculture, qui continue d'occuper les deux tiers de la population, est, elle, en pleine crise. Dans un contexte de mondialisation, qui signifie notamment que le pays devra, tôt ou tard, baisser ses droits de douane sur les produits agricoles, l'Inde doit donc absolument renforcer son secteur industriel, ne serait-ce que pour absorber la main-d'oeuvre agricole.
Premiers désistements

A ce jour, 237 zone économiques spéciales ont été ouvertes à travers le pays. Elles doivent attirer plus de 40 milliards d'investissements d'ici à 2009 et créer ainsi au moins 1 million d'emplois. Mais la plupart de ces projets nécessitent de racheter des terrains agricoles. Or, malgré les compensations promises, les paysans concernés n'ont aucune envie de céder leurs terres. Un dossier particulièrement délicat pour les dirigeants politiques dont les agriculteurs constituent la majorité de l'électorat.

A tel point que, à l'approche d'importantes élections régionales, le gouvernement fédéral a préféré geler, fin janvier les nouvelles attributions de zone économique spéciales. Un groupe interministériel planche depuis sur une nouvelle approche visant à rendre la procédure « plus humaine » pour les paysans, notamment en leur fournissant d'autres terrains et en leur garantissant des emplois dans les zones créées.

En attendant, les investisseurs étrangers commencent à s'impatienter. Selon certaines rumeurs, le géant américain Nike serait même sur le point de faire une croix sur un investissement de 300 millions de dollars. Le groupe informatique Velankani Communications Tech pourrait, lui, abandonner son projet estimé à 600 millions de dollars. Le début, peut-être, d'une série de désistements. D'autant que la « victoire » obtenue par les paysans de Nandigram risque d'inciter les agriculteurs d'autres régions à se montrer plus virulents.