L'Afrique, nouveau terrain de chasse de la Chine
En quelques années, l'Empire du Milieu est devenu le troisième partenaire commercial de l'Afrique, après les Etats-Unis et la France. En quête de matières premières pour alimenter sa croissance fulgurante et de nouveaux débouchés pour ses produits, Pékin déploie les grands moyens pour renforcer son implantation sur le continent africain.
Multiplication des accords pétroliers, construction de centrales électriques et hydrauliques, exportation de produits à prix cassés (articles en céramique, pneumatiques, matériel électrique et électronique, équipement automobile chaussures, habillement, articles en plastique…), construction de routes, de barrages ou de bâtiments administratifs (ministères, centres de conférence de prestige, palais présidentiels…), opérateurs de télécommunication…
Le " made in China " s'impose aujourd'hui sans complexe dans de nombreux secteurs économiques en Afrique, du pétrole au bois précieux en passant par les minerais, la pêche ou encore les télécommunications.
La quatrième puissance économique mondiale a fait du continent noir un nouveau terrain de conquête au grand dam des Etats-Unis et de la France. Dorénavant, il faut compter avec la Chine dans les affaires africaines.
En cinq ans, la Chine a quadruplé ses échanges commerciaux avec l'Afrique. Le volume des échanges sino-africains a explosé pour atteindre 37 milliards de dollars en 2005. Des échanges qui pourraient atteindre à l'horizon 2015 près de 100 milliards de dollars, selon les spécialistes. La Chine est devenue en 2005 le premier fournisseur de l'Afrique subsaharienne, avec une part supérieure à 10%, devant la France et l'Allemagne…
Pour accompagner cette pénétration économique, la Chine dispose de délégations commerciales dans 49 pays africains alors que la France n'en dispose que de 11, nombre en diminution. Elle n'a pas de zones privilégiées mais choisit d'aller là où les opportunités se présentent, notamment en comblant les vides laissés par le retrait des puissances occidentales des zones à risque ou d'instabilité (Côte d'Ivoire, Soudan, Libéria…).
Une pénétration économique multiforme
La pénétration économique chinoise en Afrique est multiforme. D'abord, par le haut en réactivant une politique des grands projets des années de la guerre froide (adoption début 2006 d'un nouveau partenariat stratégique avec les Etats africains, politique d'aide au développement en échange de contrats avec des entreprises chinoises).
Ensuite, par le milieu, à travers les investissements directs étrangers. Les entreprises chinoises sont de plus en plus présentes en Afrique, elles gagnent des contrats dans de le secteur des matières premières et des bâtiments et travaux publics, développent des flux commerciaux ou s'installent dans les pays africains.
Près de 1 000 entreprises chinoises opèrent aujourd'hui sur le continent africain. Leur force vient de leurs coûts particulièrement bas, de l'offre d'une gamme maintenant large de produits, et de pratiques ne respectant pas toujours les règles du marché, leur octroyant un avantage compétitif supplémentaire. Enfin, par le bas, grâce à la présence d'une diaspora chinoise dans le petit commerce informel.
130 000 ressortissants chinois travaillent en Afrique, un chiffre qui pourrait doubler dans les cinq ans à venir. Selon Nicolas Pinaud, économiste à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l'un des auteurs du rapport " L'ascension de la Chine et de l'Inde : quels enjeux pour l'Afrique ? " (1), " la diaspora chinoise, en investissant le secteur informel avec ses nombreux produits, crée une concurrence redoutable dans un secteur qui fait vivre 85% de la population africaine".
Cette montée en puissance, parfois qualifiée de " percée spectaculaire " ou de " déferlante chinoise " en Afrique, n'est pas le fruit du hasard. Elle correspond à une volonté politique claire de Pékin pour prendre position sur le continent africain. L'objectif est d'assurer son décollage économique fulgurant en diversifiant et en sécurisant ses approvisionnements énergétiques (pétrole, gaz) et de matières premières. La Chine en profite également pour écouler ses produits bon marchés ou de haute technologie sur les marchés africains.
Enfin, l'offensive chinoise est destinée à renforcer son influence diplomatique en Afrique pour asseoir son statut de superpuissance (les pays africains représentent plus du tiers des effectifs de l'ONU).
Sécuriser les approvisionnements énergétiques
Pékin vient d'abord chercher l'énergie et les matières premières nécessaires pour satisfaire son dynamisme économique. Avec un taux de croissance de 10% par an, la Chine est le deuxième consommateur au monde de pétrole.
L'Afrique fournit aujourd'hui à l'empire du Milieu plus du tiers de son brut. D'autant plus que d'ici 2020, selon les experts, la Chine sera contrainte d'importer 60% de son pétrole pour alimenter sa croissance économique. " Après l'Asie centrale et la Sibérie russe, l'Afrique est la troisième zone d'internationalisation des compagnies pétrolières chinoises, tout particulièrement le Soudan, l'Angola et le Nigeria ", précise Pierre-Antoine Braud, chercheur à l'Institut des études de sécurité de l'Union européenne.
Les grandes majors chinoises du pétrole comme CNPC (China National Petroleum Corporation), Sinopec (la corporation pétrochimique de Chine, deuxième plus grand compagnie pétrolière chinoise), CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) ont depuis quelques années une politique agressive d'acquisition du pétrole. En début d'année, la CNOOC a pris une participation de 45% dans la zone convoitée du Delta du Niger, riche en hydrocarbures, au Nigeria, le premier producteur de brut d'Afrique.
L'Afrique intéresse également la Chine pour ses immenses gisements de matières premières et de minéraux (bauxite, cuivre, cobalt…). " Les Chinois ne sont pas seulement intéressés par les pays producteurs de matières premières.
Ils ont aussi une politique assez offensive à l'égard de pays qui peuvent être clefs en terme de maîtrise de l'espace africain. Ils s'intéressent par exemple à des pays comme le Sénégal (position clef en Afrique de l'Ouest) ou le Bénin (accès au marché de la sous région) ", précise Nicolas Pinaud.
Offensive diplomatique d'envergure
Cette présence économique chinoise en Afrique s'accompagne d'une intense activité diplomatique. L'an dernier, pas moins de seize pays africains ont reçu la visite des plus hauts responsables chinois (Egypte, Ghana, République démocratique du Congo, Angola, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda, Maroc, Nigeria, Kenya, Sénégal, Mali, Liberia, Nigeria, Libye).
Des dizaines d'accords de coopération politiques, économiques et culturels ont été signés. En ce début d'année 2007, la Chine poursuit son opération de séduction politique dans les pays africains. Hu Jintao, le président chinois, vient tout juste d'effectuer - en février 2007 - une tournée dans huit pays africains, dont le géant économique l'Afrique du Sud. Objectif : renforcer les relations diplomatiques entre la Chine et l'Afrique.
Début 2006, à l'occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et les pays africains, les dirigeants chinois ont dévoilé leurs orientations en matière de coopération avec les pays africains par la publication d'un nouveau document : " La politique de la Chine à l'égard de l'Afrique ".
De plus, Pékin a lancé en 2000 le Forum de coopération Chine-Afrique, dont la vocation est d'œuvrer au rapprochement économique et politique entre le géant chinois et ses partenaires africains. La troisième et dernière édition du Forum s'est tenue en novembre 2006 à Pékin et a permis de multiplier les accords commerciaux, militaires et de développement.
La Chine est également présente sur la scène africaine par sa politique d'aide au développement (aides et prêts à taux privilégiés, appui technique par l'envoi de coopérants, financement pour construire des infrastructures, soutien dans le domaine agricole…). Elle distribue généreusement des prêts en tenant un discours tiers-mondiste " gagnant-gagnant " pour séduire ses partenaires africains.
Une présence bénéfique pour l'Afrique ?
" L'arrivée de la Chine en Afrique provoque un nouveau dynamisme économique dans les pays africains. Elle est une véritable opportunité pour eux de relancer leur développement ", explique Abdelmajid Fassi Fihri, membre du Comité directeur de CAPafrique, un think-tank spécialisé sur les questions africaines (2).
Sur le court terme, la présence chinoise est plutôt positive pour l'Afrique : hausse des prix des matières premières, investissements en plein essor, renforcement de la concurrence et diversification des partenaires commerciaux… La manne pétrolière remplit également les caisses de certains Etats africains (Nigeria, Angola, Soudan…).
Cependant, sur le moyen et long terme, les choses sont moins évidentes. Pour nombre d'observateurs, la stratégie chinoise contribue peu à orienter les pays africains vers leur décollage économique et vers un développement durable. Un risque de retour à une économie de rente autour du pétrole existe, comme dans les années 60. " Si les dirigeants africains n'utilisent pas l'argent du pétrole pour diversifier leur économie, investir dans la santé ou l'éducation, dans 15 à 20 ans, le risque d'une crise de cette économie de rente est bien réel", met en garde le chercheur Pierre-Antoine Braud.
Auteur : Julien NESSI (responsable de la publication de Cyberscopie)
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Le " made in China " s'impose aujourd'hui sans complexe dans de nombreux secteurs économiques en Afrique, du pétrole au bois précieux en passant par les minerais, la pêche ou encore les télécommunications.
La quatrième puissance économique mondiale a fait du continent noir un nouveau terrain de conquête au grand dam des Etats-Unis et de la France. Dorénavant, il faut compter avec la Chine dans les affaires africaines.
En cinq ans, la Chine a quadruplé ses échanges commerciaux avec l'Afrique. Le volume des échanges sino-africains a explosé pour atteindre 37 milliards de dollars en 2005. Des échanges qui pourraient atteindre à l'horizon 2015 près de 100 milliards de dollars, selon les spécialistes. La Chine est devenue en 2005 le premier fournisseur de l'Afrique subsaharienne, avec une part supérieure à 10%, devant la France et l'Allemagne…
Pour accompagner cette pénétration économique, la Chine dispose de délégations commerciales dans 49 pays africains alors que la France n'en dispose que de 11, nombre en diminution. Elle n'a pas de zones privilégiées mais choisit d'aller là où les opportunités se présentent, notamment en comblant les vides laissés par le retrait des puissances occidentales des zones à risque ou d'instabilité (Côte d'Ivoire, Soudan, Libéria…).
Une pénétration économique multiforme
La pénétration économique chinoise en Afrique est multiforme. D'abord, par le haut en réactivant une politique des grands projets des années de la guerre froide (adoption début 2006 d'un nouveau partenariat stratégique avec les Etats africains, politique d'aide au développement en échange de contrats avec des entreprises chinoises).
Ensuite, par le milieu, à travers les investissements directs étrangers. Les entreprises chinoises sont de plus en plus présentes en Afrique, elles gagnent des contrats dans de le secteur des matières premières et des bâtiments et travaux publics, développent des flux commerciaux ou s'installent dans les pays africains.
Près de 1 000 entreprises chinoises opèrent aujourd'hui sur le continent africain. Leur force vient de leurs coûts particulièrement bas, de l'offre d'une gamme maintenant large de produits, et de pratiques ne respectant pas toujours les règles du marché, leur octroyant un avantage compétitif supplémentaire. Enfin, par le bas, grâce à la présence d'une diaspora chinoise dans le petit commerce informel.
130 000 ressortissants chinois travaillent en Afrique, un chiffre qui pourrait doubler dans les cinq ans à venir. Selon Nicolas Pinaud, économiste à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l'un des auteurs du rapport " L'ascension de la Chine et de l'Inde : quels enjeux pour l'Afrique ? " (1), " la diaspora chinoise, en investissant le secteur informel avec ses nombreux produits, crée une concurrence redoutable dans un secteur qui fait vivre 85% de la population africaine".
Cette montée en puissance, parfois qualifiée de " percée spectaculaire " ou de " déferlante chinoise " en Afrique, n'est pas le fruit du hasard. Elle correspond à une volonté politique claire de Pékin pour prendre position sur le continent africain. L'objectif est d'assurer son décollage économique fulgurant en diversifiant et en sécurisant ses approvisionnements énergétiques (pétrole, gaz) et de matières premières. La Chine en profite également pour écouler ses produits bon marchés ou de haute technologie sur les marchés africains.
Enfin, l'offensive chinoise est destinée à renforcer son influence diplomatique en Afrique pour asseoir son statut de superpuissance (les pays africains représentent plus du tiers des effectifs de l'ONU).
Sécuriser les approvisionnements énergétiques
Pékin vient d'abord chercher l'énergie et les matières premières nécessaires pour satisfaire son dynamisme économique. Avec un taux de croissance de 10% par an, la Chine est le deuxième consommateur au monde de pétrole.
L'Afrique fournit aujourd'hui à l'empire du Milieu plus du tiers de son brut. D'autant plus que d'ici 2020, selon les experts, la Chine sera contrainte d'importer 60% de son pétrole pour alimenter sa croissance économique. " Après l'Asie centrale et la Sibérie russe, l'Afrique est la troisième zone d'internationalisation des compagnies pétrolières chinoises, tout particulièrement le Soudan, l'Angola et le Nigeria ", précise Pierre-Antoine Braud, chercheur à l'Institut des études de sécurité de l'Union européenne.
Les grandes majors chinoises du pétrole comme CNPC (China National Petroleum Corporation), Sinopec (la corporation pétrochimique de Chine, deuxième plus grand compagnie pétrolière chinoise), CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) ont depuis quelques années une politique agressive d'acquisition du pétrole. En début d'année, la CNOOC a pris une participation de 45% dans la zone convoitée du Delta du Niger, riche en hydrocarbures, au Nigeria, le premier producteur de brut d'Afrique.
L'Afrique intéresse également la Chine pour ses immenses gisements de matières premières et de minéraux (bauxite, cuivre, cobalt…). " Les Chinois ne sont pas seulement intéressés par les pays producteurs de matières premières.
Ils ont aussi une politique assez offensive à l'égard de pays qui peuvent être clefs en terme de maîtrise de l'espace africain. Ils s'intéressent par exemple à des pays comme le Sénégal (position clef en Afrique de l'Ouest) ou le Bénin (accès au marché de la sous région) ", précise Nicolas Pinaud.
Offensive diplomatique d'envergure
Cette présence économique chinoise en Afrique s'accompagne d'une intense activité diplomatique. L'an dernier, pas moins de seize pays africains ont reçu la visite des plus hauts responsables chinois (Egypte, Ghana, République démocratique du Congo, Angola, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda, Maroc, Nigeria, Kenya, Sénégal, Mali, Liberia, Nigeria, Libye).
Des dizaines d'accords de coopération politiques, économiques et culturels ont été signés. En ce début d'année 2007, la Chine poursuit son opération de séduction politique dans les pays africains. Hu Jintao, le président chinois, vient tout juste d'effectuer - en février 2007 - une tournée dans huit pays africains, dont le géant économique l'Afrique du Sud. Objectif : renforcer les relations diplomatiques entre la Chine et l'Afrique.
Début 2006, à l'occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et les pays africains, les dirigeants chinois ont dévoilé leurs orientations en matière de coopération avec les pays africains par la publication d'un nouveau document : " La politique de la Chine à l'égard de l'Afrique ".
De plus, Pékin a lancé en 2000 le Forum de coopération Chine-Afrique, dont la vocation est d'œuvrer au rapprochement économique et politique entre le géant chinois et ses partenaires africains. La troisième et dernière édition du Forum s'est tenue en novembre 2006 à Pékin et a permis de multiplier les accords commerciaux, militaires et de développement.
La Chine est également présente sur la scène africaine par sa politique d'aide au développement (aides et prêts à taux privilégiés, appui technique par l'envoi de coopérants, financement pour construire des infrastructures, soutien dans le domaine agricole…). Elle distribue généreusement des prêts en tenant un discours tiers-mondiste " gagnant-gagnant " pour séduire ses partenaires africains.
Une présence bénéfique pour l'Afrique ?
" L'arrivée de la Chine en Afrique provoque un nouveau dynamisme économique dans les pays africains. Elle est une véritable opportunité pour eux de relancer leur développement ", explique Abdelmajid Fassi Fihri, membre du Comité directeur de CAPafrique, un think-tank spécialisé sur les questions africaines (2).
Sur le court terme, la présence chinoise est plutôt positive pour l'Afrique : hausse des prix des matières premières, investissements en plein essor, renforcement de la concurrence et diversification des partenaires commerciaux… La manne pétrolière remplit également les caisses de certains Etats africains (Nigeria, Angola, Soudan…).
Cependant, sur le moyen et long terme, les choses sont moins évidentes. Pour nombre d'observateurs, la stratégie chinoise contribue peu à orienter les pays africains vers leur décollage économique et vers un développement durable. Un risque de retour à une économie de rente autour du pétrole existe, comme dans les années 60. " Si les dirigeants africains n'utilisent pas l'argent du pétrole pour diversifier leur économie, investir dans la santé ou l'éducation, dans 15 à 20 ans, le risque d'une crise de cette économie de rente est bien réel", met en garde le chercheur Pierre-Antoine Braud.
Auteur : Julien NESSI (responsable de la publication de Cyberscopie)
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