APE : le Club des exclus
Parfois, plus une proposition est alléchante, plus elle suscite de la suspicion. Cette semaine, l’offre surprise de la Commission européenne (CE) dans le cadre des négociations des Accords de partenariat économique (APE) avec les six regroupements régionaux des pays d’Afrique Caraïbes et Pacifique (ACP) nous laisse dubitatifs. En se proposant d’ouvrir totalement son marché – sans restrictions de quotas et de droits de douanes – aux exportations des pays ACP, l’Union européenne (UE) atteindra vraisemblablement son objectif d’ici la fin de l’année : obtenir des six régions ACP la signature des accords APE. Évitant ainsi que l’accord de Cotonou n’expire en décembre sans que l’UE n’arrive à définir les modalités d’une nouvelle coopération économique et commerciale avec les ACP.
Ces derniers ont exigé de pouvoir pénétrer sans entraves le marché européen, leurs desiderata sont satisfaits. Moyennant quelques conditions sanitaires et phytosanitaires sur les produits, surtout agricoles, que l’UE importe des ACP. Mais il ne sert strictement à rien d’avoir le meilleur accès du monde à un marché. Il faut encore pouvoir y exporter en étant compétitif. Les industries d’exportation de la Chine, du Brésil, de l’Égypte ou de l’Afrique du Sud (exclues exprès de l’offre de l’UE) sont prédatrices, bien que handicapées par des barrières de quota et tarifaires (parfois lourdes) imposées par l’UE. Les pays ACP vont-ils seulement se donner les moyens, notamment à travers l’intégration régionale, de les concurrencer frontalement ? Ce n’est pas dit…
Mais revenons à Maurice. L’offre européenne précise que tous les marchés seront dérégulés, y compris celui du sucre. Le Protocole sucre, comme déjà annoncé, reste applicable jusqu’en 2009. Mais après ce n’est qu’« un accès additionnel au marché » pour les pays ACP comme Maurice qui est prévu. Le signal a bien été décrypté dans l’île. Il s’agit désormais d’être doublement plus appliqué dans la réforme visant à rendre l’industrie de la canne plus compétitive. Afin de ne pas subir la concurrence d’États qui ne sont pas bénéficiaires du Protocole sucre, mais qui, ayant des industries compétitives, pourront, à partir de 2009, prendre une plus grande part du marché européen du sucre.
Restent les autres questions, les plus cruciales pour Maurice, notamment en matière d’investissement, de mouvement des personnes, d’aide à la tertiarisation de l’économie. Elles seront complètement occultées par la proposition européenne actuelle. Le groupe de négociation de l’Afrique orientale et australe, auquel appartient Maurice, passe pour être le plus récalcitrant à signer un accord selon les officiels de la Commission au Commerce. L’un des facteurs qui a expliqué cela a été l’attachement des deux pays leaders du groupe, Maurice et le Kenya, à faire avancer la question des services dans les négociations alors que le reste du groupe reste obsédé par la question de l’accès aux marchés.
La plus grande crainte que les États ACP en pleine tertiairisation, comme Maurice, peuvent avoir, c’est la conclusion d’une série d’APE « a minima » uniquement centrés autour de la capacité des ACP à exporter des produits agricoles ou industriels vers l’Europe. Quand nous avons interrogé récemment le commissaire au Commerce Peter Mandelson ainsi que plusieurs hauts officiels de son staff au sujet de la création d’un groupe des pays ACP intéressés sur les questions d’investissement, de mouvement des personnes et l’essor d’industries de services, la question n’était pas encore d’actualité. Elle l’est maintenant.
L’UE martèle que l’ouverture de son marché n’engage nullement les ACP à faire de même. Or justement, un groupe de pays ACP de bonne volonté sur les questions de services serait, a n’en pas douter, résolu à accorder certaines réciprocités à l’UE, pourvu qu’on avance sur le terrain des services. Il faut absolument que l’UE mette en place une telle initiative. Sinon elle aura démontré que le processus de la signature des APE n’aide pas réellement les économies des ACP à s’intégrer dans le marché mondial en passant par la phase obligée de tertiarisation et d’ouverture aux capitaux étrangers. L’UE en bouclant ses APE aura aussi créé son club des exclus…
Auteur : RABIN BHUJUN, L'Express de Maurice
Ces derniers ont exigé de pouvoir pénétrer sans entraves le marché européen, leurs desiderata sont satisfaits. Moyennant quelques conditions sanitaires et phytosanitaires sur les produits, surtout agricoles, que l’UE importe des ACP. Mais il ne sert strictement à rien d’avoir le meilleur accès du monde à un marché. Il faut encore pouvoir y exporter en étant compétitif. Les industries d’exportation de la Chine, du Brésil, de l’Égypte ou de l’Afrique du Sud (exclues exprès de l’offre de l’UE) sont prédatrices, bien que handicapées par des barrières de quota et tarifaires (parfois lourdes) imposées par l’UE. Les pays ACP vont-ils seulement se donner les moyens, notamment à travers l’intégration régionale, de les concurrencer frontalement ? Ce n’est pas dit…
Mais revenons à Maurice. L’offre européenne précise que tous les marchés seront dérégulés, y compris celui du sucre. Le Protocole sucre, comme déjà annoncé, reste applicable jusqu’en 2009. Mais après ce n’est qu’« un accès additionnel au marché » pour les pays ACP comme Maurice qui est prévu. Le signal a bien été décrypté dans l’île. Il s’agit désormais d’être doublement plus appliqué dans la réforme visant à rendre l’industrie de la canne plus compétitive. Afin de ne pas subir la concurrence d’États qui ne sont pas bénéficiaires du Protocole sucre, mais qui, ayant des industries compétitives, pourront, à partir de 2009, prendre une plus grande part du marché européen du sucre.
Restent les autres questions, les plus cruciales pour Maurice, notamment en matière d’investissement, de mouvement des personnes, d’aide à la tertiarisation de l’économie. Elles seront complètement occultées par la proposition européenne actuelle. Le groupe de négociation de l’Afrique orientale et australe, auquel appartient Maurice, passe pour être le plus récalcitrant à signer un accord selon les officiels de la Commission au Commerce. L’un des facteurs qui a expliqué cela a été l’attachement des deux pays leaders du groupe, Maurice et le Kenya, à faire avancer la question des services dans les négociations alors que le reste du groupe reste obsédé par la question de l’accès aux marchés.
La plus grande crainte que les États ACP en pleine tertiairisation, comme Maurice, peuvent avoir, c’est la conclusion d’une série d’APE « a minima » uniquement centrés autour de la capacité des ACP à exporter des produits agricoles ou industriels vers l’Europe. Quand nous avons interrogé récemment le commissaire au Commerce Peter Mandelson ainsi que plusieurs hauts officiels de son staff au sujet de la création d’un groupe des pays ACP intéressés sur les questions d’investissement, de mouvement des personnes et l’essor d’industries de services, la question n’était pas encore d’actualité. Elle l’est maintenant.
L’UE martèle que l’ouverture de son marché n’engage nullement les ACP à faire de même. Or justement, un groupe de pays ACP de bonne volonté sur les questions de services serait, a n’en pas douter, résolu à accorder certaines réciprocités à l’UE, pourvu qu’on avance sur le terrain des services. Il faut absolument que l’UE mette en place une telle initiative. Sinon elle aura démontré que le processus de la signature des APE n’aide pas réellement les économies des ACP à s’intégrer dans le marché mondial en passant par la phase obligée de tertiarisation et d’ouverture aux capitaux étrangers. L’UE en bouclant ses APE aura aussi créé son club des exclus…
Auteur : RABIN BHUJUN, L'Express de Maurice