"L'UE inflexible envers les pays les plus vulnérables"

Des spéculations ne manquaient pas récemment à Bruxelles au sujet des avancées prochaines dans les discussions commerciales en cours entre l'Union européenne (UE) et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

Trois des quatre régions africaines prenant part aux discussions seraient toutes sur le point de signer un Accord de partenariat économique (APE) avec l'UE dans quelques dernières semaines.

Pourtant, aucune de ces configurations -- l'Afrique orientale et australe, l'Afrique centrale et la Communauté de développement de l'Afrique australe -- n'a jusqu'ici voulu accepter des projets d'accords préparés par l'organe exécutif de l'UE, la Commission européenne.

Cette réticence a été généralement attribuée aux divergences d'opinions marquées sur des questions telles que le niveau de réduction des tarifs sur les importations de l'UE que les gouvernements africains devraient opérer, le traitement qui devrait être réservé aux produits jugés "sensibles" et la durée des périodes de transition pour l'introduction progressive de la libéralisation du commerce.

Après avoir préconisé que les APE devraient couvrir un grand nombre de questions -- notamment la libéralisation des services, l'investissement, la concurrence, les marchés publics et la propriété intellectuelle -- la commission a annoncé en octobre que les accords conclus avant la fin de cette année se limiteront d'abord au commerce des biens.

En dépit de cette réduction des ambitions, les responsables du commerce à l'UE déclarent que ceci est le plus strict minimum qui doit être atteint cette année.

Si le régime de faveur accordé par les pays européens aux anciennes colonies dans les ACP est actuellement exempté des règles établies par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), cette dérogation expire au début de 2008. Si les APE ne peuvent pas être signés d'ici à la veille du Nouvel An, la commission dit qu'elle ne pourra pas faire autrement que d'imposer de lourds tarifs sur un grand nombre de produits ACP destinés pour le marché de l'UE.

"Il n'y a aucune alternative en cours de discussions", a déclaré à IPS, Peter Power, porte-parole de la commission pour le commerce. "Personne n'a suggéré une alternative crédible qui pourrait tenir debout devant l'OMC".

Toutefois, plusieurs analystes commerciaux et activistes luttant contre la pauvreté, pensent que la déclaration de la commission n'est pas convaincante.

"Probablement, la conformité avec l'OMC n'est pas aussi obligatoire et urgente que la Commission européenne est en train de le proclamer", a affirmé Claire Delpeuch de 'Sciences Po', un institut d'études politiques à Paris.

En théorie, les règles de l'OMC n'autorisent le régime de faveur à accorder à un pays en développement que si d'autres pays ne sont pas de ce fait victimes d'une discrimination.

Mais il y a des précédents où l'Afrique a été choisie pour bénéficier d'un traitement de faveur de la part des pays riches sans encourir la colère de l'OMC. Tel est le cas, par exemple, avec la loi 'Africa Growth and Opportunity Act' (AGOA) introduite par les Etats-Unis.

Delpeuch indique qu'un rapport du parlement britannique a recommandé en 2005 qu'on ne devrait demander aux pays ACP d'ouvrir leurs marchés totalement aux produits agricoles de l'UE que si l'UE réduit drastiquement les subventions considérables qu'elle paie à ses agriculteurs.

Par conséquent, une période de transition pour l'ouverture des marchés ACP serait explicitement liée à un bouleversement du système d'appui de l'Europe à l'agriculture.

Même si ces subventions procurent à l'UE un avantage considérable quand elle vend à l'extérieur, l'UE insiste toujours que les pays ACP devraient supprimer les tarifs qu'ils imposent sur 80 pour cent des importations agricoles en provenance d'Europe. Des contre-propositions venant de l'Afrique centrale pour une élimination de 60 pour cent ont été rejetées par la commission.

"Cela n'a pas de sens d'essayer de conclure, dans une situation critique et en si peu de temps, des accords qui sont d'une telle importance capitale pour le développement des pays pauvres", a ajouté Delpeuch.

"Bien que la conformité avec l'OMC soit un objectif louable, la situation particulière des pays ACP -- et la dette historique de la responsabilité que portent les Etats membres de l'UE dans leur situation difficile actuelle -- devraient être une raison suffisante pour l'UE de chercher une manière de trouver le temps nécessaire pour parvenir à des solutions mutuellement plus acceptables", a-t-elle déclaré.

Christopher Stevens de 'Overseas Development Institute' à Londres, affirme que la commission a tort de dire qu'il n'y a aucune alternative possible pour conclure les APE cette année.

Une option, croit-il, serait d'appliquer une version modifiée du Système généralisé des préférences de l'UE (le système pour fixer les tarifs commerciaux) aux pays ACP. Appelée GSP+, la version modifiée permettrait à un grand nombre de biens d'entrer sur les marchés de l'UE sans taxes. Actuellement, le GSP+ s'applique uniquement à 15 pays d'Amérique latine.

L'exécution de la menace de l'UE d'imposer des tarifs punitifs sur les exportations des ACP en l'absence des accords qui sont en train d'être conclus constituerait un "désastre", a soutenu Stevens.

Si cette menace est mise à exécution, il estime que 22 pays ACP connaîtront des augmentations de tarifs qui affecteraient plus du quart de leurs exportations actuelles. Cinq autres pays (Kenya, Ile Maurice, Guyane, Nauru, les Seychelles et Tonga) verraient au moins la moitié de leurs exportations altérée. Et dans le cas du Swaziland, du Fidji et de Belize, la proportion dépasserait 75 pour cent.

Alexander Woollcombe, porte-parole de Oxfam à Bruxelles, déclare qu'il est très important que la commission fasse montre d'une flexibilité plus grande que ce qu'elle a fait jusqu'à ce jour. Il souligne que l'Accord de Cotonou de 2000, qui sous-tend les relations UE-ACP, confie explicitement à l'UE d'offrir des alternatives aux accords de libre-échange.

"Dire que 'soit vous signez, soit vous risquez de voir vos exportations vers l'UE altérées' met les pays ACP dans un dilemme", a-t-il ajouté. "Ceci met les économies les plus pauvres et les plus vulnérables du monde sous d'énormes pressions".