Mandelson blâme l'Afrique du Sud et le Nigeria à propos des APE

David CRONIN, Inter Press Service (Johannesburg), 22 Novembre 2007

Deux importantes nations africaines, l'Afrique du Sud et le Nigeria, tentent de bloquer la signature des Accords de partenariat économique (APE) avec l'Union européenne (UE), a affirmé récemment le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson.

Mardi, alors qu'il s'adressait aux membres du Parlement européen réunis à Bruxelles, Mandelson a vivement critiqué l'attitude des ces deux pays dans le cadre des négociations commerciales qui impliquent les 80 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

Mandelson estime que l'Afrique du Sud et le Nigeria encouragent leurs homologues des différents groupes régionaux à ne pas signer d'accord commercial avec l'Union européenne d'ici à la fin de l'année, la date limite.

L'UE déjà menacé d'imposer une tarification punitive aux produits exportés de la moitié environ des pays ACP si ceux-ci ne concluent pas d'APE avant la date butoir du 31 décembre 2007.

Comme les 39 Etats restants de la région ACP sont considérés comme des pays moins avancés (PMA), ils sont qualifiés pour entrer en ligne de compte du programme européen de sept ans appelé "Tout sauf des armes". La plupart de leurs biens pourraient donc bénéficier de droit d'accès et sans quotas au marchés européens.

"Concernant l'Afrique de l'ouest, ce groupe régional est dominé par le Nigeria, qui ne veut pas entendre parler d'un APE incluant de larges thématiques", a indiqué Mandelson. "C'est tant mieux pour l'Afrique de l'ouest, si vous êtes un pays relativement riche comme le Nigeria. Mais qu'en est-il de la Côte d'Ivoire et du Ghana? Ils ne sont ni des pays riches, ni des PMA. Ils ont besoin d'un APE pour éviter toute perturbation de leur commerce à la fin de l'année".

De même, Mandelson estime que l'Afrique du Sud, qui possède déjà un accord commercial avec l'UE, "n'a pas autant d'intérêts en jeu" que ses voisins. Il a évoqué la possibilité de signer un APE avec les autres pays d'Afrique australe si le gouvernement du président sud-africain Thabo Mbeki décidait de barrer la route à un accord commercial.

"A cause de l'incapacité de l'Afrique du Sud à s'engager finalement, aurais-je tendance à dire qu'il n'y aura pas d'APE pour l'Afrique australe; que cela entraînerait une perturbation du commerce avec le Botswana, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland?", a-t-il demandé.

La position combattive de Mandelson a été critiquée par des militants de la lutte contre la pauvreté qui se disent grandement préoccupés par le fait que l'UE tente de créer des divisions au sein des pays africains, en exerçant notamment des pressions pour qu'ils concluent des accords qui mettraient leurs producteurs et leur industrie naissante en danger face à un afflux massif de produits européens.

Pour Karin Ulmer, membre de l'organisation Aprodev qui chapeaute des associations d'aides protestantes, la situation "n'est pas équitable" et l'UE tente de pousser les pays pauvres vers une "relation non équilibrée".

"Peut-être que l'intention n'est pas de créer des divisions au sein des pays ACP, mais c'est, de facto, ce que la Commission européenne est en train de faire", affirme-t-elle à IPS.

Luis Morago, responsable de campagne pour l'ONG Oxfam, rappelle que récemment, le président sénégalais Abdoulaye Wade a estimé que les relations UE-Afrique étaient perturbées, notamment en raison des différences en matière de commerce. Cela n'est pas très favorable à l'approche du sommet des dirigeants européens et africains, qui doit se tenir le mois prochain à Lisbonne, au Portugal.

"Ce sommet UE-Afrique est destiné à marquer le départ d'un nouveau partenariat entre l'Europe et l'Afrique", déclare Morago. "Mais la plupart des pays africains ne sont pas convaincus que ce qui se trouve actuellement sur la table des négociations vaille la peine d'être signé. Les responsables européens et africains devraient profiter de cette occasion pour revenir en arrière, pour repenser leur approche et se concentrer sur un partenariat qui soit réellement axé autour du développement", a-t-il ajouté.

Le 20 novembre, les ministres en charge de l'aide au développement des 27 pays de l'UE étaient également réunis à Bruxelles. Dans un communiqué conjoint, ils ont exprimé leur préoccupation par rapport aux retards qui perturbent, dans certaines régions, les négociations en faveur des APE.

Les ministres ont entériné les suggestions émises par Mandelson de signer d'ici à la fin de l'année des accords qui seraient limités au commerce des biens. Les questions relatives aux investissements, à la concurrence et à la libéralisation des services seraient ainsi évoquées durant l'année 2008.

Caroline Lucas, membre du groupe de Verts au Parlement européen, estime que Mandelson met sous pression des pays vulnérables à une ouverture de leurs marchés aux produits européens. Cette semaine, les méthodes du commissaire -- d'origine britannique -- ont été jugées brutales par le quotidien londonien 'The Gardian', observe-t-elle.

Mais, Mandelson, qui a joué un rôle pivot dans la réforme du 'Labour Party' au Royaume-Uni avant d'être nommé commissaire européen, considère qu'on lui reproche ses méthodes depuis plusieurs années, plus exactement depuis le milieu des années 80. "Le jour où Peter Mandelson ne sera plus considéré comme un tyran par 'The Gardian', je crois que j'organiserai une grande fête", a-t-il déclaré.

Erika Mann, une euro-députée social-démocrate allemande, estime quant à elle que les pays africains ne devraient pas avoir trop de problèmes à signer un accord avec l'UE. "La difficulté, c'est qu'ils n'ont pas les capacités pour négocier des accords commerciaux de libre échange avec d'autres pays ailleurs dans le monde", a-t-elle indiqué.

Le Britannique Robert Sturdy, membre du groupe conservateur au sein du Parlement européen, est de son côté plus réservé sur le fait de conclure des arrangements commerciaux qu'avec certains pays ACP. "Sûrement, l'objectif global des APE est de faciliter et de promouvoir l'intégration régionale. Il ne s'agit pas d'accords bilatéraux. Le président Wade estime que le système proposé par l'UE est inacceptable et que les relations UE-Afrique sont rompues. On dirait que les choses ne vont pas bien", dit-il.