DIPLOMATIE FRANCE-MAURICE: Jacques Maillard : «Il y a entre nos deux pays une relation d’égal à égal»

A l’occasion de la Fête nationale française, aujourd’hui, l’ambassadeur Jacques Maillard, fait un survol de la diplomatie française à Maurice. Si la culture et la francophonie restent deux des principaux axes dans la relation de longue date entre les deux pays, la diplomatie fait aussi la part belle à l’économie. Il s’agit d’aider Maurice à consommer une nouvelle transition économique et à se lancer dans le développement durable, mais on ne peut oublier qu’il y a aussi du côté français des intérêts d’investissements très nets.

Quelle est votre appréciation de l’évolution des relations entre la France et Maurice ? N’est-on pas passé à une diplomatie plus agressive en matière économique, du moins plus qu’elle ne l’était auparavant ?

Les relations entre nos deux pays ont toujours été excellentes depuis l’indépendance de Maurice et même avant ! Cela dit depuis 2006, avec la visite à Paris de Navin Ramgoolam, on est entré dans une phase nouvelle, c’est vrai. Le Premier ministre est venu demander au président français d’alors, Jacques Chirac, l’aide de la France pour la transition économique de l’île, qui faisait face à un triple choc. Le président a immédiatement donné son accord. Depuis, il y a eu un développement très satisfaisant des relations entre la France et Maurice dans ce sens. L’Agence française de développement est revenue à Maurice et nous nous sommes engagés sur le principe d’une aide de Rs 10 milliards sur cinq ans en prêts. Cela fait donc de la France le premier bailleur de fonds bilatéral. Nous aidons Maurice, ou plutôt nous travaillons avec Maurice, car il y a bien une position d’égal à égal et non de donateur à récipiendaire. La seconde visite qu’a effectué Navin Ramgoolam dernièrement a été l’occasion de poursuivre dans cette voie, et de concrétiser des projets, notamment pour l’aéroport qui est un enjeu d’importance pour Maurice. Le président Nicolas Sarkozy a aussi fait une proposition pour le financement de la première ferme éolienne de Maurice. En fait, je ne crois pas que nous soyons davantage dans une logique économique ou commerciale que nous ne l’étions. L’économie a toujours été un des volets de la coopération française à Maurice. Le Club Med a été l’un des premiers investisseurs étrangers à venir dans l’île dans le domaine du tourisme, Air France est présent depuis longtemps et France Telecom est entré dans le capital de Mauritius Telecom. La relation France-Maurice est donc une relation de francophonie et culturelle, économique et politique. Les trois volets comptent.

Il n’empêche que, durant ces quelques dernières années, les investisseurs français se font plus nombreux à Maurice…

Oui c’est vrai et j’en suis très heureux. Cela traduit surtout le dynamisme de l’économie mauricienne et son attractivité. C’est une bonne chose.

L’actuelle politique extérieure en matière culturelle de la France est remise en question par le récent rapport Gouteyron, du nom du sénateur en charge du dossier. Il appelle à une plus grande implication des ministères de la Culture et de l’enseignement supérieur dans la promotion de la langue et de la culture française. L’efficacité des centres culturels est mise en doute. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

N’oublions pas que Cultures France, qui est l’opérateur international dans le domaine, n’est pas le pré carré du Quai d’Orsay, il travaille avec le ministère de la Culture notamment. Il n’y a pas de luttes de pouvoirs en la matière. L’important est d’être en mesure d’apporter une offre culturelle de qualité. Mais j’insiste, ce n’est pas une offre culturelle française au sens étroit, strict du terme. On le voit dans nos programmations, tant à Maurice qu’ailleurs en Afrique, on a un grand souci du métissage, afin que les cultures mauricienne et française se rencontrent, s’enrichissent, partagent. C’est notre ligne politique en matière culturelle.

Et l’efficacité des centres culturels ? L’offre est géographiquement éclatée à Maurice. Et le Quai d’Orsay a été appelé à réduire ses coûts d’opération. C’est pour cela qu’un nouveau centre culturel sera construit à Ebène ?

Nous souhaitions surtout avoir un cadre plus moderne dans un lieu beaucoup plus central, et cela, grâce au gouvernement mauricien je le précise. Ce qui nous permettra, je l’espère, d’avoir plus de visibilité et plus de présence, mais sans rupture dans le fond. S’il y a une rupture qui paraîtrait utile, c’est avant tout avec l’image passéiste de la culture française déjà bien connue si j’ose dire. Ou plutôt l’idée que l’on s’en fait. Il nous faut montrer encore plus la modernité de notre offre culturelle. C’est aussi la culture de notre temps que l’on promeut. La vitalité de la créativité française et francophone, j’insiste, est bien au centre de nos préoccupations.

Dans toutes les relations diplomatiques il y a un point noir. Dans les relations France-Maurice, le différend se nomme Tromelin. L’idée de cogestion est toujours d’actualité. Mais qu’en est-il au juste? On a l’impression que ce dossier, au final, piétine. On ne fait que réitérer sans cesse l’accord des deux parties sur le principe de cogestion…

Le principe de cogestion a en effet été agréé depuis maintenant neuf ans, c’est-à-dire en 1999. Comme vous le dites, c’est un dossier qui semble piétiner. Mais vous savez que nous avons un président qui n’aime pas piétiner. Donc le président Sarkozy a fait des propositions très précises pour que le contenu dans la notion même de cogestion soit très concret. Il souhaite que l’on avance et non que l’on se contente d’annoncer de nouvelles discussions sur le sujet. Alors il s’agira de se réunir plus concrètement pour étudier les modalités de la mise en œuvre de cette cogestion. J’espère que très vite nous pourrons avancer sur ce dossier et faire que Tromelin ne soit plus un point noir dans nos relations. Car nous pouvons très bien travailler de concert dans ce cas. Je vous rappelle que Tromelin n’est qu’un îlot d’un kilomètre carré !

Effectivement, mais ce n’est pas tant ce kilomètre carré de terre émergée qui compte que la zone économique exclusive de 280 000 km2 qui l’entoure. Surtout pour Maurice…

C’est vrai. L’îlot lui-même est un écosystème fragile et scientifiquement intéressant. L’idée est donc bien de le préserver. La zone économique exclusive est, je pense, une zone sur laquelle nous pouvons travailler conjointement. Le président français a également fait des propositions dans ce sens pour que Maurice et la France exploitent ensemble ces eaux riches en ressources halieutiques.

L’Union européenne est au cœur de la politique étrangère française, d’autant que la France a pris récemment la présidence tournante de l’Union. Mais comment allier la politique étrangère bilatérale et les prérogatives de la diplomatie européenne ?

Nous sommes tout à fait d’accord sur le souci de favoriser les coopérations régionales. Il n’y a, sur ce plan, aucune mésentente entre la Commission européenne et nous-mêmes. Nous avons pris acte de la nécessité de faire évoluer les instruments de coopération qu’étaient les accords de Lomé et de Cotonou vers les Accords de partenariat economique (APE). Par contre, la France et la Commission européenne ont des discussions assez fortes, il faut l’avouer, en ce qui concerne les modalités d’application. Nous estimons que les APE ne doivent pas être de simples instruments commerciaux, mais qu’ils doivent rester des instruments de développement. Il y a un volet accès aux marchés, cela a déjà été négocié par exemple, mais nous tenons beaucoup à ce que la notion de développement et d’aide au développement, à travers ces outils, reste. Chacun défend ses positions, et c’est normal. Nos positions ne sont pas forcément celles d’Etats plus libéraux sur la question ou plus enclins au laisser-faire. Nous souhaitons avoir une vision volontariste du développement.

Avec la rupture prônée par Nicolas Sarkozy, la politique étrangère française est devenue plus atlantiste, lit-on souvent, elle s’aligne davantage sur les positions anglo-saxonnes. Y a-t-il encore une politique étrangère typiquement française? Doit-on parler d’une véritable rupture avec la diplomatie d’avant et celle d’aujourd’hui, ou plutôt d’ajustements ?

Bien que nous parlons de rupture, n’oublions pas qu’il y a, malgré tout, une grande continuité dans la politique extérieure de la France. La rupture est davantage liée au style. Comme je le disais, nous avons un président qui n’aime pas piétiner, qui veut aller de l’avant et qui le dit d’une manière beaucoup plus directe et claire que ne l’avaient fait, peut-être, ses prédécesseurs. C’est cette clarté qui surprend. Et cela se voit aussi dans les choix en matière de politique extérieure. Nous avons réaffirmé notre volonté de développer la défense européenne en collaboration avec l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Certains semblent découvrir quelque chose de nouveau dans la diplomatie française. Mais en vérité cela y était déjà. En fait, on l’exprimait de manière plus nuancée, plus floue avec des périphrases. On est passé à quelque chose de plus direct, même dans le langage diplomatique. Sur le Moyen-Orient par exemple, on dit du président Sarkozy qu’il est très proche d’Israël. Or à la Knesset, il a tenu un langage très direct, sans détours, en réaffirmant notamment la nécessité de la création d’un Etat palestinien. Dans le même sens, le président syrien, Bachar el-Assad, sera à Paris pour le sommet de l’Union pour la Méditerranée. Il est donc critiqué sur les deux tableaux: on le dit pro-israélien et on le fustige parce qu’il reçoit le controversé président syrien. Mais dans tout cela, il faut bien voir que la ligne de la diplomatie française a toujours été la même. Nous parlons avec tout le monde et nous voulons contribuer à la résolution des crises.

Revenons-en à Maurice. Aux voyageurs mauriciens plutôt. Où en est la décision d’annuler le visa obligatoire pour les Mauriciens désirant se rendre dans la zone Schengen? Cette mesure qui a été annoncée se fait attendre…

C’est une mesure qui est en voie d’application. En fait, il y a eu une annonce qui a été mal comprise. La Commission européenne a annoncé qu’elle allait proposer la suppression des visas pour un certain nombre de pays, dont Maurice. Ensuite, il a fallu que cette proposition soit faite, qu’il y ait un rapport et que les Etats concernés acceptent. Ce n’est qu’après cette procédure relativement longue que la Commission prépare un mandat de négociations qui doit être approuvé, ce qui a été le cas il n’y a que quelques semaines de cela. A partir de là, les négociations s’engagent. Je pense que logiquement d’ici la fin de l’année, les obligations de visas pour de courts séjours, je le souligne, devraient être levées pour la zone Schengen. Cependant, je ne peux bien entendu pas prendre d’engagement là-dessus.

«L’important est d’être en mesure d’apporter une offre culturelle de qualité. Mais j’insiste, ce n’est pas une offre culturelle française au sens étroit, strict du terme. On le voit dans nos programmations, tant à Maurice qu’ailleurs en Afrique, on a un grand souci du métissage.»

Outre l’aéroport et la ferme éolienne que vous avez déjà évoqués, quels sont les principaux chantiers de la coopération française ?

Je dirai que nous avons trois objectifs à Maurice. D’abord en matière d’infrastructures, il s’agit d’aider Maurice à se doter d’infrastructures modernes. Nous avons des entreprises françaises qui travaillent dans ce sens. En effet, la société Aéroport de Paris qui sera en charge de la modernisation et de l’extension de l’aéroport de Plaisance est l’un de ces projets. Mais il y en a bien d’autres qui sont en cours de négociation et sur lesquels je ne dirai rien pour le moment. Le second point, c’est le développement durable et la lutte contre le changement climatique qui est une priorité à la fois à Maurice, en France et à La Réunion. L’idée c’est que l’on peut travailler ensemble dans ce domaine. La Commission de l’océan Indien travaille déjà beaucoup sur la question. La coopération bilatérale peut, bien sûr, également jouer un rôle en la matière. De mon côté, j’aimerais beaucoup qu’il y ait une coopération entre l’Europe, la France et Maurice. Une coopération triangulaire donc en utilisant à la fois les crédits du Fonds européen de développement et de l’Agence française de Développement. On n’en est pas encore là, mais sur ce plan, je crois que nous pouvons accompagner Maurice et qu’il y a des pistes à exploiter. Le dernier axe concerne l’éducation supérieure et l’enseignement. 5 000 élèves sont scolarisés dans les établissements mauriciens d’enseignement et de financement français qui affichent d’excellents taux de réussite au baccalauréat. Au-delà de ces écoles, nous sommes très ouverts à l’accueil des étudiants mauriciens. J’ai souhaité personnellement accroître le nombre des bourses à l’attention des étudiants mauriciens. Je souhaite que nous rendions plus faciles les démarches pour ces étudiants qui souhaitent s’inscrire dans des universités françaises.

Et parallèlement, des universités françaises nouent également des partenariats avec des institutions locales…

Absolument, je vous donnerai deux exemples simplement. Bordeaux et l’université de Maurice pour la médecine ou encore Poitiers avec la Chambre de commerce et d’industrie pour des formations plus professionnalisantes et techniques. Effectivement c’est aussi un axe de la coopération en matière d’enseignement qui se développe et que nous suivons.

Pour finir, que dire de votre affectation à Maurice ?

Les gens paient pour venir à Maurice, cher même ! Et j’ai eu la chance d’être affecté ici ! Plus sérieusement, c’est un pays qui est très agréable, tant pour y vivre que pour y travailler. Depuis que je suis arrivé, il y a beaucoup de projets que nous avons pu poursuivre ou mettre en route. Notamment certains projets, qui devraient être très positifs pour Maurice, dont je ne vous ai parlé et dont nous parlerons plus tard.

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