Vive le droit d’ingérence… africain

Les Africains ne peuvent plus laisser les potentats locaux terroriser leur population. Ils doivent intervenir. Et redonner un sens à l’Union africaine.

By William Gumede - Mail & Guardian

De mauvais dirigeants, il y en a dans toute l’Afrique. L’effondrement du Zimbabwe n’a concentré l’attention du monde que sur l’un d’entre eux. Les efforts de Robert Mugabe pour prolonger son règne, malgré sa défaite au premier tour de la présidentielle de mars 2008, ont provoqué une réaction d’une force inhabituelle en Afrique. Peut-être les Africains commencent-ils à reconnaître qu’il n’y a pas de crises “nationales”. L’accroissement de l’interdépendance sociale et économique des pays du continent fait que les problèmes du Zimbabwe sont régionaux et véritablement africains. Dans toute l’Afrique, les citoyens exigent davantage de la part de démocraties très limitées. Ils veulent des emplois, des perspectives économiques, la justice et l’équité. Or la plupart des gouvernements n’ont pas réussi à les leur assurer et sont indifférents aux attentes de leurs administrés.

Exiger des conditions minimales de démocratie

Le vrai danger, c’est que les Africains risquent de perdre confiance dans les institutions démocratiques limitées qu’ils ont à leur disposition. Les Nigérians ont boudé une parodie d’élection avec un cynisme alarmant en avril 2008. Les vrais sentiments émergeront plus tard : les individus trouveront de plus en plus refuge dans le tribalisme, la violence ou le fondamentalisme religieux. Et beaucoup renonceront et émigreront.

Sur le papier, nombre d’économies africaines sont florissantes. Pourtant, la croissance n’a pas provoqué la ­stabilité politique. C’est même le contraire : le flux de biens de consommation résultant de la croissance n’est pas accessible à tous dans les pays mal gouvernés. L’augmentation des prix des produits alimentaires creuse encore le gouffre entre riches et pauvres. Elle touche certaines des villes à la croissance la plus rapide du monde, des villes remplies de jeunes hommes âgés de 16 à 24 ans bien éduqués, sous-employés, en colère et malléables. Nous verrons probablement d’autres implosions sociales sur le continent, en particulier au moment des élections.

Comme ces problèmes sont continentaux, l’outil le plus approprié pour les régler est l’Union africaine (UA). Le principe africain de non-ingérence dans les affaires du voisin a été ébranlé par le génocide rwandais. Il marque encore partiellement l’UA, qui rechigne à intervenir par la force dans les pays mal gouvernés. L’évolution de la situation au Zimbabwe est en train de changer les choses. La crise zimbabwéenne doit également modifier un autre principe cardinal africain : l’inviolabilité des frontières héritées de colonialisme. Les migrations, l’urbanisation et la libre circulation de l’information font que les frontières ont de moins en moins de sens. L’Afrique du Sud, par exemple, ne peut pas se débarrasser aisément de ses 3 millions de réfugiés zimbabwéens. Les problèmes du Zimbabwe sont désormais les siens. Et aussi ceux de l’Afrique. La même chose vaut pour l’Afrique de l’Est : si le Kenya attrape la fièvre, l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi et le Congo ne seront pas épargnés.

Pour que l’Union africaine soit plus volontariste, les Africains doivent poser des conditions minimales de démocratie et de gestion économique aux Etats membres. Aujourd’hui, les gangsters siègent aux côtés de dirigeants ayant des aspirations démocratiques sérieuses. Il faut abroger les législations répressives des pays membres. Les pays membres doivent établir des institutions démocratiques crédibles, en particulier des tribunaux et des commissions électorales. Il faut des institutions panafricaines efficaces, comme une Cour suprême et une Cour constitutionnelle. Ces organes doivent êtres indépendants et avoir compétence sur certains domaines dans les Etats membres, de sorte que, quand un tyran comme Mugabe fera son apparition, il ne pourra plus compter sur le soutien des autres voyous comme lui.
La charte de l’UA doit être réformée et ne plus protéger la souveraineté des pays, mais les Africains eux-mêmes. Un ressortissant d’un pays membre doit pouvoir saisir l’UA s’il est l’objet de mauvais traitements ou de discriminations en raison de sa race, de son origine ethnique, de sa religion ou de son sexe. Il faut une procédure pour destituer les dirigeants qui commencent comme démocrates, mais deviennent des tyrans.

Les pays qui remplissent ces conditions devront être récompensés. Actuellement, certains donateurs injectent de l’argent dans des régimes qui organisent le renversement de la démocratie. A l’heure où le groupe des huit principaux pays industrialisés se prépare à discuter de l’aide à l’Afrique, outre la santé et l’éducation, il faut qu’il investisse dans le renforcement de l’UA.

Si l’on n’agit pas maintenant, l’Afrique risque de ne jamais rattraper les économies florissantes de l’Orient et de l’Occident. C’est peut-être notre meilleure chance depuis l’indépendance de nous réorganiser, de nous consolider avant de passer au niveau suivant. Le recul de la démocratie en Afrique peut soit nous démoraliser, soit nous contraindre à agir.

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