L'Afrique, « continent oublié » de la négociation climatique

Article paru dans l'édition du 28.08.08 du Monde

La conférence des Nations unies sur le climat s'achève à Accra, au Ghana, le 27 août. Elle a constaté que l'Afrique sera une des principales victimes du changement climatique, sans en porter la responsabilité.

Près de 30 000 personnes sont victimes des inondations dans le sud du Tchad, a annoncé, le 25 août, la coordination humanitaire de l'ONU dans ce pays. En Ethiopie, 75 000 personnes, selon la Croix-Rouge, sont durement touchées par la sécheresse. Rien ne permet d'attribuer ces phénomènes au changement climatique. Mais ils présagent les périls que fait courir celui-ci au continent africain, qui n'en est pourtant pas responsable, avec moins de 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Dans le débat sur le climat, l'Afrique est « le continent oublié », comme l'a dit Yvo de Boer, secrétaire de la Convention sur le climat des Nations unies, à Accra (Ghana), où devait s'achever, le 27 août, une conférence internationale de négociations sur les suites du protocole de Kyoto.

L'Afrique risque fort, en effet, d'être une des principales victimes du réchauffement planétaire, sans avoir pour l'instant les moyens d'une parade. Selon le président du Ghana, John Kufuor, le continent souffre déjà de « chocs climatiques » : dans son pays, les pluies ont diminué de 20 % sur les trente dernières années. Cette baisse des précipitations a été confirmée, à une échelle plus vaste, par des scientifiques allemands et africains lors d'un colloque tenu à Ouagadougou (Burkina Faso), le 26 août, autour du programme de recherche Glawo. Selon ces chercheurs, la saison des pluies commence en Afrique de l'Ouest trente jours plus tard qu'il y a quarante ans.

Il faut, selon cette étude, s'attendre à un « réchauffement considérable » sur toute l'Afrique et à une réduction « remarquable » des précipitations en Afrique subsaharienne et sur la rive de la Méditerranée d'ici à 2050. Ces résultats corroborent ceux du rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) publié en 2007. Pour l'Afrique, il envisageait une extension de 5 % à 8 % des terres arides ou semi-arides d'ici à 2080, une augmentation de nombre de personnes souffrant de pénuries d'eau d'ici à 2020, des difficultés croissantes pour l'agriculture pouvant atteindre une réduction de moitié de la production dans certains pays.

La hausse du niveau de la mer pourrait aussi affecter les pays côtiers, notamment la Gambie, le Nigeria et le Ghana, selon des experts présents à Accra. Stefan Cramer, responsable de la Fondation Heinrich-Boll au Nigeria, a souligné que cela toucherait notamment les deltas, qui sont densément peuplés. Par exemple, Lagos, la capitale du Nigeria qui compte 15 millions d'habitants, serait concernée. Plusieurs quartiers de cette métropole, situés au-dessous du niveau de la mer, sont déjà régulièrement inondés.

Les moyens manquent pour faire face à cette situation, que l'augmentation de la population africaine devrait aggraver. Selon la Division de la population des Nations unies, le nombre d'habitants du continent devrait passer de 922 millions en 2005 à 1 998 millions en 2050. Si la croissance économique est vigoureuse depuis quelques années (6,2 % en 2007, selon le Rapport économique sur l'Afrique - ERA 2008 - de l'ONU et de l'Union africaine), l'aide publique au développement des pays riches est en baisse, de 8,4 % en 2007, selon l'OCDE.

Les instruments économiques qui s'élaborent dans le cadre du protocole de Kyoto permettront-ils d'aider l'Afrique à parer au changement climatique ? Pour l'instant, ce n'est pas le cas. « La valeur totale des projets en Afrique financés par le Fonds pour l'environnement mondial au cours des dix-sept dernières années est de 378 millions de dollars, alors que la valeur des projets à l'échelle du monde est de plus de 2,4 milliards de dollars », a relevé Yvo de Boer à Accra. Quant au « mécanisme de développement propre » (MDP), qui permet de financer des projets de technologies réduisant les émissions de gaz à effet de serre, il se répand peu sur le continent. « Seulement 2 % des projets MDP dans le monde se trouvent en Afrique, ce qui est inacceptable, contre 45 % en Chine, 16 % en Inde et 13 % au Chili », a observé Ewah Otu Eleri, qui dirige le Centre international pour l'énergie, l'environnement et le développement, basé au Nigeria.

Cette situation devrait commencer à évoluer. Un Forum africain du carbone se tiendra à Dakar du 3 au 5 septembre, où devraient s'engager plusieurs projets de MDP. Un des points essentiels de la négociation en cours pour élaborer la suite du protocole de Kyoto est par ailleurs d'y inclure les forêts : éviter la déforestation, c'est empêcher des émissions de gaz à effet de serre. D'autres idées émergent, comme le soutien à l'agriculture par une distribution raisonnée d'engrais, ce qui limiterait le déboisement visant à gagner des terres agricoles.