L'Afrique, parent pauvre du marché de carbone

Koffigan E. Adigbli - DAKAR, 8 sep (IPS)

L'Afrique a des atouts à faire valoir dans le marché de carbone, même si pour l'instant, sa participation est estimée à trois pour cent dans des projets visant à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, estiment des spécialistes du changement climatique. 

"Aujourd'hui, plus de 3.000 projets équivalant à 2,7 milliards de tonnes de carbones sont enregistrés au niveau de l'organe de suivi du Mécanisme de développement propre (MDP)", a déclaré le ministre de la Justice du Sénégal, Madické Niang, représentant son collègue de l'Environnement au cours du premier forum africain du marché de carbone, la semaine dernière à Dakar, la capitale sénégalaise. 

"La participation africaine dans le marché de carbone est l'une des plus faibles au monde. Estimée à hauteur de trois pour cent, elle est insignifiante par rapport aux parts de l'Asie qui est de 64 pour cent et 32 pour cent pour l'Amérique latine", a ajouté Niang. 

Le marché de carbone est un processus d'investissement et de développement à travers des projets qui permettent de réduire le taux d'émissions de gaz carbonique. Quelque 600 délégués composés essentiellement des experts en développement, des chercheurs de plusieurs pays, des acteurs du commerce, ses porteurs de projets et des investisseurs ont participé à ce forum. 

Le secrétaire exécutif de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Yvo de Boer, a regretté le retard pris par l'Afrique dans l'élaboration de projets fiables pour le financement au marché de carbone. 

Pourtant, les projets de reforestation, la lutte contre la désertification ou encore l'électrification rurale sont des secteurs où l'Afrique peut attirer des investissements, a indiqué de Boer, soulignant qu'il faut des études sur le continent par rapport au mécanisme de fonctionnement du marché de carbone. 

"Malgré la croissance rapide du marché de carbone, les transactions de Mécanisme de développement propre (MDP) en Afrique subsaharienne restent négligées par les investisseurs commerciaux en raison des coûts et de l'insuffisance de cadres institutionnels", affirme-t-il à IPS. "Sur quelque 3.700 projets à financer dans le cadre du MDP, seuls 27 projets africains ont été choisis, alors que l'Asie en est à 547 projets", déplore-t-il. 

Bakary Kanté, représentant le directeur général du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), a lui aussi déploré la lenteur que prend le marché de carbone en Afrique, indiquant que le Sénégal a eu une série de formations de 23 experts en projets MDP dans les secteurs de l'énergie, de la foresterie, avec un portefeuille de 25 projets. Mais, seul le projet de l'utilisation de lampes à basse consommation d'énergie a été développé en partenariat avec la Banque mondiale, a-t-il dit. 

"La mise en œuvre du MDP n'aurait de sens que s'il permet à l'Afrique de résoudre la double équation qui se présente à elle, c'est-à-dire faire en sorte que ces énormes potentialités énergétiques dont dispose le continent soient exploitées et, cela, dans le cadre du développement propre", explique Kanté. Selon un rapport présenté au forum de Dakar, dans le cadre du MDP, les projets d'agriculture, de foresterie et d'autres affectations de terres représentent un des secteurs pouvant avoir, en tant que puits de carbone, un impact majeur en matière d'émissions de gaz à effet de serre (GES), notamment en Afrique. Le rapport indique que sur ce continent, la part des émissions GES engendrée par l'agriculture, l'utilisation des terres et la déforestation, est estimée à 60 pour cent. 

Outre les bénéfices de la gestion du carbone, les projets peuvent également contribuer à la qualité de vie en milieu rural par la création de nouvelles opportunités d'emplois et de revenus, le renforcement de la résilience environnementale et sociale face aux changements climatiques. Par ailleurs, certains projets MDP ont été mis en place dans sept pays africains afin de développer d'autres projets-pilotes dans différents domaines, notamment les plantations à objectif commercial, le reboisement communautaire et les biocarburants. Ces pays sont : Bénin, Cameroun, République démocratique du Congo, Gabon, Madagascar, Mali et Sénégal. Pour sa part, Konrad Von Ritter, représentant la Banque mondiale, a insisté sur le rapprochement du marché de carbone avec le développement durable, annonçant que la banque allait mettre en place de nouveaux mécanismes de financement dans ce sens. Selon lui, la banque vient de financer au Sénégal, pour plus de trois milliards de francs CFA (environ 6,8 millions de dollars), le secteur de l'électrification rurale, avec un objectif de plus de 2.000 foyers ruraux qui seront électrifiés. Niang, le ministre représentant le gouvernement sénégalais au forum, a lancé un appel aux bailleurs de fonds pour un changement de posture de l'Afrique dans le secteur du marché de carbone. "Le secteur financier doit accompagner le secteur privé dans l'identification et la mise en œuvre des projets éligibles au MDP. Aussi, il est nécessaire que le partenariat avec le secteur privé soit renforcé et que ce dernier s'implique davantage au côté du gouvernement et contribue résolument aux objectifs de développement durable", a-t-il déclaré à IPS. Selon Niang, d'autres projets du Sénégal sont en cours et seront bientôt soumis au conseil exécutif du MDP, notamment le projet de récupération de métal dans la décharge d'ordures et l'utilisation des graines du jatropha dans un projet sous-régional d'hydroélectricité. Le jatropha est une plante dont les graines pressées donnent une huile produisant de l'énergie. Il a également exhorté les opérateurs économiques à investir dans le domaine des technologies respectueuses de l'environnement. 

Selon les participants, ce premier forum africain du marché de carbone de trois jours, du 3 au 5 septembre à Dakar, sous la gouvernance de la Banque mondiale, est une étape importante pour l'Afrique. Les participants ont été unanimes sur le retard de l'Afrique dans ce domaine de carbone et se sont engagés à aider le continent dans les secteurs développement de réduction de gaz à effet de serre. 

Des engagements sur les projets de développement ont été pris et devraient être validés à la conférence de Copenhague prévue en 2009, pour propulser l'Afrique dans ces projets de développement et de sauvegarde de l'environnement, selon les conclusions du forum.