Maurice: Réforme sucre: Satisfaction mitigée de la commissaire Boel

En quarante-huit heures, la commissaire européenne à l'Agriculture, Mariann Fischer Boel, celle qui avait piloté la réforme sucrière en imposant la pilule amère de la réduction du prix garanti du sucre de 39%, s'est évertuée de dresser un constat au niveau de la réforme mise en place à Maurice avec l'encadrement financier de l'Union Européenne. Le message transmis aux autorités mauriciennes à la conclusion de cette série de visites sur le terrain et de séances de travail officielles est un de satisfaction mais avec un avertissement à peine subtil: " la réforme ne sera pas complète sans la politique énergétique et de décision sur l'éthanol." L'absence de décision du gouvernement au sujet des recommandations contenues dans le rapport des consultants de Kantor, soumis au gouvernement il y a plus de trois mois, demeure irritant dans la conjoncture. La partie européenne s'attend à des développements sur ces deux aspects dans un avenir pas très lointain.

D'autre part, l'une des priorités du gouvernement avec le séjour à Maurice de la commissaire européenne à l'Agriculture était de faire avancer la campagne de lobbying en vue d'inclure Maurice dans les économies éligibles pour le fonds spécial d'un milliard d'euros au titre de la sécurité alimentaire de l'Union européenne. Les membres du gouvernement, notamment le Premier ministre, Navin Ramgoolam, le ministre des Finances, Rama Sithanen, et le ministre de l'Agro-Industrie, Arvin Boolell, ont fait des plaidoyers en faveur de critères d'éligibilité plus flexibles en vue d'inclure Maurice dans le groupe de pays bénéficiaires. Tout en se montrant sympathique aux points avancés par ses interlocuteurs, Mariann Fischer Boel a clairement fait comprendre que la décision à ce titre ne lui revient pas personnellement. Elle devait cependant ajouter que la carte d'économie insulaire reste une argumentation valable.

Boel:"Contente que l'attention soit donnée à la production laitière"

Les premiers éléments de satisfaction exprimés par la commissaire européenne à l'Agriculture quant aux retombées de la réforme imposée par Bruxelles ont été exprimés dès la première descente sur le terrain, jeudi matin, soit lors de la visite de la Nouvelle Découverte Co-Operative Dairy Farm, avec un accent sur la nécessité d'accroître la production laitière. "Je suis contente que l'attention soit aussi tournée aujourd'hui vers la production laitière. Cela fait plaisir de voir les fonds alloués par la Commission Européenne aient été décentralisés. Je constate que le programme de coopération est très apprécié des fermiers locaux. Je ne peux que réjouir de cette bonne expérience", devait-elle déclarer en substance après la tournée de la ferme.

Quant aux effets de la réforme de l'industrie sucrière, avec l'adoption de la Multi-Annual Adaptation Strategy (MAAS), Mariann Fischer Boel devait concéder que la réduction de 39% du prix garanti du sucre constitue un réel problème pour les producteurs sucriers. "Nous n'avons jamais sous-estimé les difficultés que vous avez rencontrées, à la suite de la réduction du prix du sucre à l'exportation vers l'Union Européenne de 39% sur une période de trois ans. Cependant, je pense, et tout le monde le concède, que nous ne pouvions continuer dans cette situation. Nous avons essayé de prendre des mesures relatives pour les compagnies sucrières mauriciennes. Mais pas à titre de compensation, mais plutôt comme une possibilité de moderniser le secteur sucrier. Aujourd'hui, je suis contente de voir que vous explorez la multifonctionnalité du sucre", devait-elle soutenir dans une de ses déclarations de presse lors de sa tournée en fin de semaine.

Lors des séances de travail avec le Premier ministre et avec le ministre des Finances, qui est également le coordonnateur de la coopération avec l'Union européenne, Mariann Fischer Boel n'a pu s'empêcher de se féliciter du "Pace" de la réforme sucrière même si au tout début des délais avaient été accumulés. A un certain moment, le pire était à craindre du côté de Bruxelles avec le blocage de décisions au sujet de la "Multi-Annual Adaptation Strategy" (MAAS).

"Lors des discussions, nous avons eu l'occasion de faire une évaluation du processus de réforme engagée. La commissaire européenne à l'Agriculture a exprimé sa satisfaction et s'est déclarée extrêmement impressionnée par la vitesse de la réforme. Elle a pu constater que les principales composantes de la réforme, que ce soit en terme d'efficience, de centralisation et de multifonctionnalité, sont On Target qu'importe si des retards avaient été accumulés initialement," a déclaré à Week-End Rama Sithanen en guise de "Wrapping Up" .

Coût élévé de la réforme sucrière dans le contexte économique

Lors des échanges avec la commissaire européenne à l'Agriculture et les membres de la délégation de la Commission Européenne, le gouvernement a fait état de ses appréhensions quant au coût élevé de la réforme dans le contexte économique marqué par la flambée du cours mondial du pétrole. "Il est un fait que lors de l'élaboration de ce plan de réforme, les coûts avaient été évalués dans une conjoncture économique autre que celle que nous subissons actuellement. Le Cost-Overrun de la réforme est de l'ordre de 25% avec la montée du cours du pétrole et autres intrants. De ce fait, le coût de la réforme est nettement plus élevé que prévu. Nous avons exprimé le souhait à la commissaire européenne que lors de la réallocation prochaine des fonds et compte tenu de la performance, Maurice soit en mesure de bénéficier d'un apport financier complémentaire", devait ajouter le ministre des Finances.

De son côté, Mariann Fischer Boel, qui a visité, vendredi matin, la 'Flexi-Factory" de Savannah, n'a pas manqué de faire état de ses appréhensions au niveau de la politique énergétique et de l'absence de progrès par rapport au projet de distillerie d'éthanol. Des sources bien informées au sein de l'industrie sucrière, la commissaire européenne s'est interrogée sur les moyens disponibles pour permettre à Maurice d'atteindre le seuil 40% de ses besoins énergétiques à partir des sources d'énergie nouvelles et renouvelables.

Seuil des 40% des besoins énergétiques: Scepticisme de la Commission Européenne

"De ce que nous avons pu comprendre c'est que la Commission Européenne demeure sceptique quant à la réalisation de cet objectif. Il y a aussi les inquiétudes devant l'absence de décision pour le démarrage du Cluster de l'éthanol dans le cadre de la réforme. Il ne faut pas se leurrer à l'effet que la Commission Européenne est consciente de la situation qui prévaut par rapport au projet d'éthanol", indique-t-on dans les milieux sucriers bien informés.

D'autre part, la partie européenne a également sondé le gouvernement en ce qui concerne ses intentions au sujet des recommandations des consultants de Kantor en faveur d'une politique énergétique. Le ministre des Utilités publiques, Abu Kasenally, a déjà laissé entendre officiellement que le gouvernement ne souscrit pas à 100% aux détails de la politique énergétique élaborée à cet effet.

Bruxelles aurait diplomatiquement transmis à Port-Louis le message à l'effet que la politique énergétique est une composante de performance majeure du programme de réforme consenti. Mais aucune des sources approchées par Week-End n'a voulu s'aventurer pour apporter des précisions sur cette question en affirmant que les discussions devraient se poursuivre.

La commissaire européenne à l'Agriculture, qui était "On a Listening Mode" pendant sa visite à Maurice, a eu également l'occasion de prendre connaissance des commentaires des petits planteurs au sujet de la réforme lors d'une visite aux champs et d'une séance d'échanges dans la région de Gros-Bois et de constater les développements en ce qui concerne les sucreries, distilleries, raffineries et centrales thermiques avec les Flexi-Factories lors d'une tournée à Savannah.

Sécurité alimentaire: Maurice joue à fond le joker régional

Le dossier de la sécurité alimentaire a été un des principaux dossiers évoqués de manière systématique par Maurice lors de la mission effectuée par la commissaire européenne à l'Agriculture, Mariann Fischer Boel. L'objectif du gouvernement, qui multiplie les initiatives diplomatiques après la lettre au commissaire européen au Développement, Louis Michel, est d'amener la Commission Européenne à revoir les critères d'éligibilité au fonds spécial d'un milliard d'euros au titre de la sécurité alimentaire. Maurice joue à fond le joker régional alors que Mariann Fischer Boel trouve que la carte de la vulnérabilité insulaire n'est pas à négliger.

"Avec les fonds prévus dans le dernier budget d'un montant de Rs 1 milliard consacrés à la Food Security, nous faisons la démonstration de notre Seriousness of Purpose sur cette épineuse question. De ce fait, nous sommes en mesure d'encadrer des efforts en vue d'accroître la production alimentaire sur le plan local. Il est également évident que ces seuls efforts ne sont pas suffisants d'où la décision du gouvernement de déployer des efforts pour que Maurice puisse accéder au fonds spécial d'un milliard d'euros de l'Union Européenne", a fait ressortir le ministre des Finances, Rama Sithanen.

"A ce stade, il apparaît que Maurice n'est pas éligible. Mais lors des échanges, nous nous sommes appesantis sur notre situation de Net Food Importer, de Net Fuel Importer et de Small Island Vulnerable State pour convaincre la Commission Européenne de la pertinence de notre démarche. La demande de Maurice à ce guichet européen porte sur un montant de 20 millions d'euros", ajoute Rama Sithanen.

L'une des cartes maîtresses jouées par Maurice sur le plan de la sécurité alimentaire a trait à la dimension régionale. De ce fait, Maurice accueillera à la fin de ce mois une conférence régionale avec la participation des ministres de Madagascar, du Mozambique et de la Tanzanie en vue de dégager un consensus sur les projets dans le domaine de la sécurité alimentaire. "La Commission Européenne a déjà mis à la disposition de la COMESA une enveloppe financière d'au moins 78 millions d'euros pour démarrer un programme de sécurité alimentaire au niveau de la région. La réunion convoquée par Maurice à la fin du mois permettra d'identifier une liste de projets spécifiques aussi bien que les infrastructures nécessaires à cet effet", a-t-il poursuivi. Il a annoncé que d'autres consultations au niveau des ministres des Finances des pays de la région sont prévues en marge de la prochaine assemblée annuelle conjointe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).

"Les pays de la région ont besoin de créer un environnement propice en vue d'attirer les investisseurs. A cet effet, nous sollicitons le concours et la coopération des bailleurs de fonds et des agences internationales pour que nous puissions disposer de ces infrastructures au niveau de la région", a conclu le ministre des Finances.

Raffineries de sucre: Mission de financement de la BEI à Maurice

Le projet visant à doter l'industrie sucrière des capacités de raffinerie dans le cadre d'une amélioration de la compétitivité est également à l'agenda des discussions avec la Banque Européenne d'Investissements (BEI). Ainsi, une délégation de la BEI avec pour chef de mission Mme Ashuvud et pour membres MM. Ochooa et Henninge, se trouve actuellement à Maurice dans le cadre des discussions avec les autorités et l'industrie sucrière pour le financement de la construction de deux raffineries de sucre.

Maurice peut bénéficier d'un apport financier de l'ordre de 38 millions d'euros à des taux d'intérêts bonifiés suite à un accord intervenu en 2006 et connu comme le Port Moresby Agreement mettant à la disposition des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) une enveloppe d'un montant global de 100 millions d'euros "On a First Come First Serve Basis". La mission a eu en fin de semaine une séance de travail avec le ministre des Finances, Rama Sithanen sur les projets susceptibles de bénéficier de ce financement concessionnaire.

Les officiels de la BEI ont également eu des séances de travail avec les partenaires de l'industrie sucrière, notammment les promoteurs du projet de raffinerie de Savannah Sugar Estate et de Flacq United Estate Limited, des officiels des ministères des Finances et de l'Agro-Industrie et de la Mauritius Sugar Authority (MSA). Ces deux sucreries ont déjà signé des accords avec le Syndicat des Sucres en vue de s'engager dans le raffinage du sucre roux à partir de la récolte sucrière de 2009.

Le potentiel de production de ces deux nouvelles raffineries est de quelque 350 000 tonnes annuellement. Le montant des investissements nécessaires pour cette composante de la réforme est de l'ordre de 50 millions d'euros. Les commandes d'équipements pour les deux raffineries ont déjà atteint un stade avancé. Sur la base des indications recueillies lors de la présente mission, la BEI devra accorder son feu vert à la demande d'assistance financière soumise par l'industrie sucrière avec l'appui du gouvernement.