Vers la fin du « low cost » dans le transport aérien

DANIEL FORTIN, LES ECHOS

Jamais en retard d'une fanfaronnade, Michael O'Leary, le fondateur de Ryanair, l'assurait encore avec aplomb en juin dernier : « Le pétrole descendra bientôt sous la barre des 100 dollars. » Moins d'un mois plus tard, le 11 juillet, le baril de brut franchit la barre des 147 dollars, un record. C'est dire si, le 28 juillet, au moment de présenter ses résultats semestriels, l'homme a perdu de sa superbe. « Le prix actuel n'est pas soutenable à moyen terme, mais Ryanair ne sait pas quand il va redescendre », indique-t-il dans un communiqué. Ce jour-là, sa compagnie vient d'annoncer une baisse de 85 % de son bénéfice net pour le premier trimestre malgré une hausse de 12 % de son chiffre d'affaires. En cause, la hausse des prix du carburant, qui représente désormais 50 % des coûts d'exploitation de la compagnie, contre seulement 36 % l'an dernier. Bilan pour Ryanair : des comptes qui vireront probablement au rouge cette année. Le début de la fin pour le « low cost » ?

Les millions de passagers qui ont pris l'avion cet été ont pu mesurer la fragilité d'un concept que l'on pensait pourtant durablement installé dans le paysage. Présentée comme temporaire lors de ses premières mises en oeuvre en 2004, la « surcharge carburant », qui n'est rien d'autre qu'une contribution des clients à la hausse des coûts d'exploitation, s'est institutionnalisée dans les compagnies régulières. Pour certains billets économiques, il n'est pas rare qu'elle représente désormais la moitié de la facture. Bien géré, à la tête d'une confortable trésorerie, Ryanair, à l'instar de son concurrent EasyJet, a jusqu'alors résisté à toute idée de surtaxer ses billets. Pour faire face à l'envolée du pétrole, les deux rivaux du ciel au rabais s'en remettent à une flotte jeune - donc économe - et à une politique de volume. Ryanair dispose en outre d'une solide couverture de son risque carburant lui permettant d'amortir sans trop de casse un baril à 124 dollars pour le troisième trimestre. Mais au-delà ?

Au-delà, comme tous les patrons du transport aérien, celui de Ryanair ne peut que s'en remettre aux augures, dont les présages annoncent une décélération durable des cours du pétrole dans les mois qui viennent. Sur le papier, tout semble y conduire. Cet été, l'Arabie saoudite a accru sa production. Dans le même temps, la demande a fléchi dans les pays de l'OCDE et elle ralentit dans les nations émergentes. Conséquence : depuis le début de cette semaine, le baril est revenu à un étiage plus raisonnable, aux alentours de 108 euros. Mais, même dans le meilleur des cas, il est fort peu probable que l'on retrouve de sitôt un pétrole à 70 dollars, son niveau d'il y a un an !

Les compagnies l'ont bien compris, qui ont dû brusquement adapter leur stratégie. Il est vrai qu'en l'espace de douze mois, le carburant est redevenu leur premier poste de dépenses, avec une facture globale de 176 milliards de dollars pour un baril à 106 dollars. Pour donner une idée de la brutalité du choc, il suffit de rappeler qu'en 2002, l'addition ne s'élevait qu'à 40 milliards de dollars. Selon l'Iata (l'Association internationale du transport aérien), le transport aérien mondial devrait enregistrer une perte de 5,2 milliards de dollars cette année sur la base d'un pétrole à 113 dollars. Et face à cette situation, les seules mesures de réduction des coûts s'avèrent désormais impuissantes.

Le phénomène est particulièrement criant aux Etats-Unis. Jusqu'à présent, les Continental, United ou autres Northwest Airlines étaient parvenus à endiguer la hausse des carburants en y opposant des mesures d'économies. Depuis 2004, le prix moyen du billet d'avion avait grimpé de seulement 8 % aux Etats-Unis, alors que, sur la même période, celui du pétrole était multiplié par quatre. Mais aujourd'hui, les digues craquent. Malgré plus de 60.000 suppressions d'emplois programmées en 2008, les transporteurs américains devront tout de même en passer par une hausse de leurs tarifs, s'ils veulent survivre. Dans une note publiée au printemps, Credit Suisse prévoyait une hausse comprise entre 15 et 25 % pour les billets émis par les compagnies américaines, si elles veulent rester rentables face à un baril à 124 dollars.

Dans ce contexte tourmenté, les compagnies « low cost » sont en première ligne. Giovanni Bisignani, le directeur général de l'Iata, rappelait en juin dernier que le poste carburant pèse plus lourd dans leurs comptes que dans ceux des transporteurs classiques puisqu'elles se refusent pour l'instant à mettre en place une surcharge carburant. Céder à cette tentation serait en effet renoncer à un dévelop- pement économique reposant sur une rentabilité par le volume grâce à des prix ultra-concurrentiels. Pour l'heure, les compagnies à bas coûts font le gros dos et réduisent leurs capacités pour s'adapter à une demande fléchissante. Southwest Airlines a décidé de diminuer ses vols de 6 % à partir de l'an prochain. De son côté, Ryanair laissera à terre ses avions cet hiver dans les aéroports de Dublin et de Stansted. Une raréfaction de l'offre qui ne peut que concourir à l'envolée des prix du billet.

D'autant qu'un autre phénomène, de plus long terme celui-là, risque d'alimenter la hausse : c'est le manque d'avions dans le monde. Les retards accumulés par l'A380 d'Airbus, qui vient d'annoncer un nouveau délai de plusieurs semaines pour la livraison de ses premiers appareils à Emirates et ceux du Dreamliner 787 de Boeing, déstabilisent gravement les transporteurs. Pour la période estivale, le manque de sièges a été estimé à 200.000 chaque jour, ce qui a accru la tension sur les prix. Plus grave, chaque retard dans la livraison de ces appareils recule le moment où les compagnies pourront enfin voir leur facture énergétique se réduire. Avec une consommation inférieure aux 3 litres aux 100 kilomètres par passager, l'A380, l'A350 ou le B787 sont la seule réponse stratégique à un pétrole durablement cher. Bien qu'elle dispose de l'une des flottes les plus modernes du monde, Air-France KLM affiche encore aujourd'hui une consommation moyenne de 3,95 litres. Même si le voeu de Michael O'Leary, celui d'un pétrole à moins de 100 dollars, est exaucé dans les jours qui viennent, la baisse des prix n'est plus d'actualité dans le transport aérien.