Geler les APE ?

Par Nad SIVARAMEN - L'Express de Maurice

Dès sa première mission à l’étranger, en tant que nouveau ministre des Affaires étrangères de Maurice, Arvin Boolell, a vite senti la tension entre les pays de la zone Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) et la Commission européenne à cause des fameux Accords de partenariat économique (APE). Ces APE, restés en suspens, risquent de souffrir encore plus à cause de la crise financière qui sème la débâcle aux Etats-Unis et en Europe, notamment. «Il y a un grand risque d’affaiblissement de la base même de la cohésion, de l’unité et de la solidarité. Nous ne devons pas permettre que cela arrive. Un groupe ACP divisé est un groupe ACP faible. Nous avons vu lors des négociations comment la Commission européenne a exploité notre division», avance, avec raison, Arvin Boolell.

Ces propos du chef de la diplomatie mauricienne méritent que l’on s’y attarde. Ils doivent être placés dans un contexte régional, surtout à un moment où les crises (financière, alimentaire et énergétique) s’amoncellent comme des nuages obscurs sur toute la zone. Pour rappel, hormis La Réunion, tous les membres de la Commission de l’océan Indien (COI), font partie du groupe ACP. C’est d’ailleurs ainsi qu’est né le front CMMS (Comores, Madagascar, Maurice, Seychelles) qui veut agir de façon plus cohérente et concordante face à une Europe qui négocie toujours en tant que bloc uni. Le fait de pouvoir faire cause commune, de devenir un bloc «fort», derrière des préoccupations similaires, comme la fin des privilèges européens, constitue un avantage dans le concert globalisé des nations, car la COI bénéficie d’un statut d’observateur au sein de l’organisation des Nations unies. Elle est une institution reconnue sur la place internationale.

Aujourd’hui, on comprend de plus en plus le tollé que soulèvent les accords de l’Union européenne (UE), un peu partout sur le continent africain. Depuis longtemps déjà, le président du Sénégal pointait un doigt accusateur vers l’Europe «pour son chantage odieux». Ainsi, l’on constate que des tarifs élevés sont imposés sur certains produits d’exportation aux Etats ACP, qui ont décidé de ne pas signer les APE ! A Maurice, un groupe de réflexion citoyenne, Rezistans ek Alternativ, réclame, ni plus ni moins, le gel du processus de négociation des APE avec l’UE. Dans une lettre adressée au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Roody Muneean explique que signer les APE équivaut à opter pour une voie économique dont la crise mondiale ne cesse de démontrer les faiblesses.

Si les quatre pays du bloc CMMS ont signé les Accords intérimaires de partenariat économique, en quatrième vitesse - entre fin novembre et mi-décembre 2007 – ils ont besoin aujourd’hui d’une mise en œuvre progressive du libre-échange, de même qu’une certaine protection de leurs secteurs stratégiques. Le cas de La Réunion est autre. Le marché réunionnais, qui oéparit jusqu’ici en quasi isolation, est aujourd’hui ouvert aux pays de la zone. Si l’Europe demande aux pays ACP de se regrouper, en unions douanières afin de constituer des marchés régionaux plus intégrés, susceptibles de développer les échanges et de drainer des investissements extérieurs, il convient d’abord de déblayer le terrain de la coopération régionale.

A défaut d’une stratégie de développement intégré, qui est largement tributaire d’un parcours de colonisation différent, les Réunionnais ne se sont pas vraiment préparés à commercer avec la région, encore moins à être en compétition avec les produits régionaux. Pour une situation, où vraiment l’union régionale ferait la force, La Réunion devrait s’intégrer, de manière moins timide, au bloc CMMS. Les cinq sœurs ont plus que jamais un avenir et un destin liés par leur proximité.