Le retour de la bipolarité ?

par Barthélémy COURMONT (Aujourd’hui la Turquie, octobre 2008)

Depuis quelques semaines, les analystes s’affolent autour du retour d’une situation de guerre froide, avec l’émergence d’une nouvelle bipolarité à la clef. Un retour de l’histoire que certains qualifient d’incontournable. Mais de quelle bipolarité parle-t-on désormais ? Depuis la fin de la guerre froide, la question de l’émergence d’une bipolarité Washington-Pékin a alimenté de nombreuses thèses, notamment aux États-Unis, devant la montée en puissance de la Chine et la perception de la menace militaire chinoise. Mais ces positions se sont concrétisées depuis quelques mois, avec le spectaculaire rapprochement Pékin-Moscou, qui marque potentiellement la naissance d’un bloc capable de rivaliser avec l’OTAN. Et la crise géorgienne a précipité l’émergence de cette bipolarité.

La Géorgie, détonateur ou révélateur des tensions ?

Symbolisé par les jeux Olympiques de Pékin, le mois d’août a vu de vieilles tensions ressurgir. Un enjeu local important qui prend les allures d’une crise internationale, avec une grande puissance pointée du doigt, de quoi alimenter là aussi les thèses d’un retour de l’histoire qui se font de plus en plus insistantes. La Chine s’est bien sûr montrée irritée mais c’est surtout dans les pays occidentaux que les réactions furent les plus vives. La crise entre les deux voisins n’est pas une surprise en soi, et semblait presque inévitable, mais elle pourrait augurer de nouvelles tensions Est-Ouest, et d’une dégradation des relations Moscou-Washington qui dépasse largement les tensions relevées pendant la guerre du Kosovo, et nous ramènent presque trente ans en arrière. Il y aura un avant et un après Géorgie dans les relations Moscou-Washington, dans le partenariat OTAN-Russie, mais également dans les relations Union européenne-Russie. Avec comme conséquence notable un éloignement de la Russie.

L’opportunisme russe post-guerre froide

Cette tendance à l’éloignement progressif de la Russie n’est pas nouvelle, et relève d’un lent processus : après la fin de la bipolarité et l’effondrement du bloc communiste, la Russie a hésité entre un rapprochement avec l’Occident et le maintien d’un équilibre stratégique lui permettant de continuer à exister sur la scène internationale. Malgré de bonnes relations avec les États-Unis, certaines crises internationales – au premier rang desquelles la guerre du Kosovo en 1999 – ravivèrent les spectres d’une nouvelle forme de bipolarité. Mais les capacités de la Russie étaient devenues trop faibles pour permettre à Moscou d’exister, et la diplomatie russe dut ainsi faire des concessions, comme à l’occasion des discussions sur le traité ABM. Parallèlement, la montée en puissance progressive de la Chine, tant économiquement que politiquement, offrit à Moscou un allié de poids capable de contrer la suprématie américaine. Plutôt que de devenir un allié docile de l’Occident, au risque de perdre son influence sur la scène internationale, la Russie a donc choisi de se tourner vers son ancien rival asiatique, dans une relation donnant-donnant que l’unilatéralisme américain. Le choix pro-Pékin de Moscou n’est donc pas tant la convergence d’idéologies ou la volonté de servir la multipolarité qu’un opportunisme auquel Pékin a répondu présent en raison d’intérêts communs.

Le choix de Medvedev : la continuité

Le nouveau président russe s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur, Vladimir Poutine, qui avait opéré un rapprochement avec Pékin, tant en matière d’échanges commerciaux que sur un plan stratégique. Les ambitions réciproques vont donc nettement au-delà d’une meilleure coopération et plaident en faveur d’une véritable alliance. «[Le président chinois] Hu Jintao et moi-même avons reconnu que la coopération sino-russe est devenue un facteur majeur de la sécurité mondiale, sans lequel les décisions importantes sont impossibles », a déclaré Medvedev devant les étudiants de l’université de Pékin lors de sa première visite officielle en Chine, en mai dernier, avant d’ajouter : « Je dirai franchement que tout le monde n’apprécie pas notre coopération, mais il en va, selon nous, de l’intérêt de notre peuple, que cela plaise ou non ». En d’autres termes, par nécessité, la Russie et la Chine semblent vouées à se rapprocher.

Une alliance capable de contrer l’OTAN

D’un point de vue stratégique, une alliance Pékin-Moscou peut rivaliser avec l’OTAN et pose ainsi les bases d’une nouvelle bipolarité. Deux puissances nucléaires reconnues par le TNP, disposant d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, de forces armées performantes et d’un réseau d’alliés de plus en plus important. Tout cela n’aurait que peu d’importance si les positionnements des deux alliés ne se trouvaient pas, sur certains sujets, totalement opposés aux intérêts de Washington, ce qui a pour effet de créer des tensions. Dans la ligne de mire de Moscou et Pékin notamment, le projet de défense antimissile en Europe centrale et orientale. Ce projet « empêche le renforcement de la confiance entre les États et la stabilité régionale et nous exprimons notre inquiétude à ce sujet », indique une déclaration conjointe russo-chinoise de mai dernier, ajoutant que « La création d’un système global de défense antimissile [...] dans certaines régions du monde ou le développement de coopérations en ce sens ne contribuent pas au maintien de l’équilibre stratégique et de la stabilité et s’opposent aux efforts internationaux pour le contrôle des armements et de la non-prolifération ».