L'Europe mise 1 milliard d'euros sur l'hydrogène

LE MONDE | 21.10.08 - Pierre Le Hir

Près de 1 milliard d'euros sur six ans. C'est la somme que l'Europe, soucieuse de rattraper son retard sur les Etats-Unis, le Canada ou le Japon, vient de décider d'injecter dans la filière énergétique de l'hydrogène. Aux côtés de la Commission de Bruxelles, qui financera la moitié de cet effort, sont engagés une soixantaine d'entreprises privées et autant de centres de recherche et d'universités, dans une "initiative technologique commune".

Ambition affichée : "Accélérer le développement des piles à combustible et des technologies de l'hydrogène en Europe", en vue d'une commercialisation de masse "entre 2010 et 2020". De son côté, la France vient d'annoncer qu'elle subventionnera, à hauteur de 68 millions d'euros, le programme de recherche et de développement H2E (Horizon Hydrogène Energie) associant, autour d'Air Liquide, une quinzaine d'industriels et de laboratoires nationaux.

La voiture à hydrogène n'est plus le seul ni même le premier objectif visé. Le modèle du futur est plutôt le suivant. Sur le toit des immeubles ou des maisons, un capteur photovoltaïque qui, aux heures d'ensoleillement, fournira le courant électrique nécessaire aux besoins domestiques. Dans la cave ou le grenier, un électrolyseur qui, avec l'électricité non consommée, produira de l'hydrogène. A côté, un système de stockage de cet hydrogène. Pour compléter l'ensemble, une pile à combustible qui, une fois le soleil couché, utilisera l'hydrogène pour générer du courant destiné aux foyers et aux voitures électriques...

Ce cycle vertueux n'est plus une utopie de doux rêveurs écologistes. Certes, il faudra encore plusieurs années avant que les particuliers puissent s'équiper d'une telle installation, trop complexe à mettre en oeuvre aujourd'hui. Trop coûteuse surtout. Mais sur les bancs d'essai des centres de recherche et des industriels, tous les éléments existent déjà. Et ils devraient arriver rapidement sur le marché pour les collectivités, les entreprises et les sites éloignés d'un réseau électrique.

Les acteurs de la filière ont compris que, pour imposer l'hydrogène comme une alternative énergétique, ils devaient en faire un "vecteur des énergies renouvelables", explique Arnaud Deschamps, directeur adjoint de la Compagnie européenne des technologies de l'hydrogène, une PME de l'Essonne travaillant avec l'Institut de chimie moléculaire et des matériaux d'Orsay (CNRS-université Paris-Sud). Autrement dit, l'utiliser comme un maillon d'une chaîne d'énergie propre, permettant d'emmagasiner et de restituer, à la demande, les kilowatts (kw) tirés de sources naturelles intermittentes - photovoltaïque ou éolienne. Ce qui effacerait l'un des défauts actuels majeurs de cette filière : le relâchement dans l'atmosphère de CO2 lors de la production d'hydrogène, réalisée aujourd'hui à plus de 90 % par reformage d'hydrocarbures.

"Pour les applications stationnaires collectives, le marché de l'hydrogène devrait s'ouvrir dès 2011 ou 2012", prédit Patrick Bouchard, président d'Hélion, filiale du géant nucléaire français Areva dédiée aux énergies non émettrices de CO2. Cette société a livré en 2006, au centre de Saclay (Essonne) du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), un prototype de groupe de secours électrique alimenté par une pile à combustible délivrant une puissance de 30 kW. Assez pour pallier une panne de réseau pendant au moins huit heures. Elle prévoit d'installer en Corse un ensemble complet (électrolyseur, stockage d'hydrogène, pile à combustible) de 600 kW, raccordé à la centrale solaire de Vignola, près d'Ajaccio.

De tels systèmes, alimentés par des sources d'énergies renouvelables décentralisées et donc affranchies du réseau électrique, devraient intéresser au premier chef les municipalités, des services publics comme les hôpitaux, certains industriels, ou encore les régions insulaires. Mais ils pourront aussi être exploités par les transports urbains ou les flottes de véhicules captives. La Compagnie européenne des technologies de l'hydrogène a ainsi mis au point un électrolyseur qui, pas plus volumineux qu'un réfrigérateur, produit 5 000 litres d'hydrogène à l'heure, avec 5 litres d'eau et 20 kW électriques. De quoi faire rouler trois bus à hydrogène pendant 24 heures. Un démonstrateur devrait être implanté, fin 2009, en Seine-et-Marne : couplé à une éolienne, il fournira l'hydrogène de minibus convoyant les visiteurs d'un centre commercial.

"Avant que de tels dispositifs arrivent chez les particuliers, il faudra réduire leur coût d'un facteur 10", reconnaît toutefois Arnaud Deschamps. Electrolyseurs et piles à combustible fonctionnent aujourd'hui avec des catalyseurs en métaux précieux, comme le platine. Au Massachusetts Institute of Technology américain, comme au CEA et au CNRS français, les recherches actuelles visent à les remplacer par des matériaux moins chers. Reste aussi à mettre au point un conditionnement maniable, bon marché et sûr, pour un gaz... inflammable et explosif.

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Une solution pour le développement des énergies marines

Le développement des énergies marines se heurte à un certain nombre d'obstacles que la technologie de l'hydrogène pourrait contribuer à lever. La majeure partie des ressources en énergie des océans se trouve, par définition, à grande distance des côtes, et donc très éloignée des zones de consommation de l'électricité. Son exploitation - par le biais d'éoliennes flottantes, de procédés de récupération de l'énergie des vagues ou de l'énergie thermique des mers - achoppe sur les questions du stockage et du transport de l'électricité produite. Si celle-ci pouvait être transformée sur place en hydrogène, le problème se trouverait en grande partie résolu.

"Un (...) intérêt majeur de la production d'hydrogène par les énergies renouvelables marines est que les installations de production pourraient alors s'éloigner des côtes, ce qui augmenterait la ressource exploitable et limiterait les risques de conflits d'usages, note l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), dans la synthèse d'une étude à paraître en 2009. Des sites d'exploitation éloignés, l'hydrogène produit en mer pourrait alors être transporté dans des navires spécialisés."