Des équilibres fragiles au Burundi
Après quinze ans de cauchemar, le dernier mouvement rebelle a accepté, à la fin de 2008, de faire la paix avec le régime de Bujumbura. Le chef de l’État, Pierre Nkurunziza, parviendra-t-il à préserver ce climat apaisé et à faire décoller l’économie ?
Le démarrage, le 3 janvier, du processus de libération des prisonniers politiques et de guerre des Forces nationales de libération-Parti pour la libération du peuple hutu (FNL-Palipehutu), le dernier groupe rebelle, est peut-être le signe que le spectre de la guerre s’éloigne du Burundi. Ils seraient 247, selon le gouvernement, 442 d’après les FNL. Au-delà de la guerre des chiffres, le geste est salué par tous.
Déjà, la communauté internationale avait applaudi lorsque, au cours de l’été 2005, un processus électoral mené de façon régulière a permis l’accession au pouvoir, sans contestation, d’un ancien mouvement rebelle, reconverti un an auparavant en parti politique : le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Le chef de l’ex-rébellion, Pierre Nkurunziza, devenait président du Burundi, mettant ainsi fin à la période de transition.
L’événement semblait indiquer que l’époque où prévalait la logique de violences généralisées comme moyen de lutte pour la conquête du pouvoir politique et son maintien était révolue.
De Nyerere à Mandela
Depuis 1966, les coups d’État militaires étaient la norme au Burundi. De même que la violence étatique, avec son lot de massacres et de répressions sanglantes à l’encontre d’une partie de la population, les Hutus, majoritaires mais dominés politiquement et militairement par la minorité tutsie. On parle déjà de génocide(s). Grâce à la vague des ouvertures politiques que connaît le continent dans les années 1990, le pouvoir burundais, détenu par le major Pierre Buyoya, réforme le système. Il organise une élection présidentielle en juin 1993. Transparent, le scrutin est remporté par Melchior Ndadaye. Un événement en soi, dans la mesure où c’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un Hutu se retrouve à la tête de l’État. Mais l’euphorie est de courte durée : en octobre 1993, moins de trois mois après son élection, Ndadaye est assassiné. Ce sera l’élément déclencheur, quelques mois plus tard, de la longue guerre civile qui va mettre le Burundi à feu et à sang. En une décennie, le bilan est lourd : entre 200 000 et 300 000 morts.
La victoire électorale du CNDD-FDD en 2005 est le résultat d’un très long processus de négociations entre le gouvernement de Pierre Buyoya, qu’un coup d’État avait de nouveau porté au pouvoir en 1996, et les partis politiques burundais. L’initiative du dialogue revient à l’ancien président tanzanien Julius Nyerere (décédé en octobre 1999), soutenu par la communauté internationale. Mais les pourparlers de paix, auxquels les groupes armés ne sont pas conviés, vont traîner en longueur. « Nyerere avait une mauvaise perception de la situation, explique un facilitateur de l’Union africaine à Bujumbura. Il pensait que la crise burundaise était née de problèmes politiques. Pour lui, il suffisait de résoudre ces problèmes pour réduire au silence les groupes armés. D’où l’échec. » Quelques rounds de négociations plus tard, sous l’égide de Nelson Mandela, désigné comme nouveau médiateur, et sous la pression de la communauté internationale, les parties burundaises finissent par s’entendre. Et c’est le fameux accord d’Arusha, signé le 28 août 2000. Il a pour toile de fond la réconciliation nationale, qui passe par un partage obligatoire du pouvoir sur des bases ethniques, à tous les niveaux. Le but est de, partout, rechercher des équilibres, y compris au sein de l’armée nationale, qui, depuis l’indépendance, avait une coloration mono-ethnique.
Les crises de l’après-transition
Une fois installé, en août 2005, dans le fauteuil présidentiel, Pierre Nkurunziza doit tenir compte de ce que lui impose la Constitution : diriger avec les partis qui ont obtenu un certain nombre de sièges lors des élections et réaliser à tout prix un dosage tutsi-hutu au sein de l’ensemble des institutions. Mais, contre toute attente, les problèmes commencent ailleurs : le chef de l’État annonce, en août 2006, la découverte d’un complot ourdi, selon lui, par un ancien président et un ancien vice-président de la transition, Domitien Ndayizeye et Alphonse Kadege. L’arrestation des deux personnalités provoque un tollé général et suscite des interrogations sur les intentions du régime. Au cours du procès, aucune charge n’est retenue contre les accusés.
L’affaire Ndayizeye-Kadege n’est que le début d’une série de crises qui vont mettre à mal le fonctionnement des institutions. La deuxième d’entre elles éclate au sein même du CNDD-FDD, dont le président, Hussein Radjabu, est limogé en février 2007, avant d’être arrêté en avril pour atteinte à la sûreté de l’État. Il purge actuellement une peine de treize ans de prison. La mise à l’écart de Radjabu ravive les tensions au CNDD-FDD. Une vingtaine de députés décident de quitter ses rangs, le privant ainsi de sa majorité au Parlement. Les conséquences de cette guerre intestine ne se font pas attendre. Sans quorum, le Parlement ne peut se réunir pour examiner et voter les lois indispensables au bon fonctionnement du pays. La paralysie est totale. Les principaux partis d’opposition, le Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu) et l’Union pour le progrès national (Uprona), qui participent pourtant au gouvernement, se frottent les mains. Mais ils seront touchés à leur tour par les germes de la division à la suite de manœuvres de débauchage du CNDD-FDD. Après s’être fait hara-kiri, le parti au pouvoir a fini par reconstituer une majorité qui lui permet de reprendre l’avantage. Il reste néanmoins affaibli. Ce qui n’est pas de bon augure : les prochaines élections sont prévues en 2010. D’autant que son programme de gouvernement a pris beaucoup de retard. Et que se passera-t-il le jour où la classe politique décidera de remplacer l’actuelle Constitution de transition…
Gages de bonne volonté
La principale menace qui pesait sur le Burundi jusqu’à l’an dernier venait des FNL-Palipehutu. Considérées comme la dernière rébellion armée et obstacle potentiel au processus de paix et de réconciliation nationale, les FNL ont d’abord signé avec le gouvernement de Pierre Nkurunziza, en juin 2006, à Dar es-Salaam, un « accord de principe en vue de la réalisation de la paix, de la sécurité et de la stabilité durables au Burundi », suivi par un accord de cessez-le-feu en septembre. Mais la méfiance entre les deux camps ne s’était jamais estompée. Résultat : les représentants des FNL à Bujumbura quittent clandestinement la ville en juillet 2007 et, au début de 2008, les attaques des rebelles reprennent. Elles atteignent un point culminant en avril lors d’affrontements avec l’armée nationale. On dénombre une centaine de morts.
Mais le retour à Bujumbura, le 30 mai 2008, du chef des FNL, Agathon Rwasa, après vingt ans d’exil, rassure. Pendant les ultimes négociations avec le pouvoir, il obtient l’essentiel : l’entrée de son mouvement dans les institutions. Nkurunziza s’engage à accorder aux cadres de l’ex-rebellion une trentaine de postes à responsabilité. Le 4 décembre, Rwasa signe une déclaration de cessez-le-feu et, autre gage de bonne volonté, moins d’une semaine après l’engagement du processus de libération des prisonniers des FNL, Rwasa a annoncé, le 9 janvier, que son parti s’appellera désormais FNL tout court, conformément à la Constitution, selon laquelle un parti politique ne doit pas faire référence à une appartenance ethnique.
Le démarrage, le 3 janvier, du processus de libération des prisonniers politiques et de guerre des Forces nationales de libération-Parti pour la libération du peuple hutu (FNL-Palipehutu), le dernier groupe rebelle, est peut-être le signe que le spectre de la guerre s’éloigne du Burundi. Ils seraient 247, selon le gouvernement, 442 d’après les FNL. Au-delà de la guerre des chiffres, le geste est salué par tous.
Déjà, la communauté internationale avait applaudi lorsque, au cours de l’été 2005, un processus électoral mené de façon régulière a permis l’accession au pouvoir, sans contestation, d’un ancien mouvement rebelle, reconverti un an auparavant en parti politique : le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Le chef de l’ex-rébellion, Pierre Nkurunziza, devenait président du Burundi, mettant ainsi fin à la période de transition.
L’événement semblait indiquer que l’époque où prévalait la logique de violences généralisées comme moyen de lutte pour la conquête du pouvoir politique et son maintien était révolue.
De Nyerere à Mandela
Depuis 1966, les coups d’État militaires étaient la norme au Burundi. De même que la violence étatique, avec son lot de massacres et de répressions sanglantes à l’encontre d’une partie de la population, les Hutus, majoritaires mais dominés politiquement et militairement par la minorité tutsie. On parle déjà de génocide(s). Grâce à la vague des ouvertures politiques que connaît le continent dans les années 1990, le pouvoir burundais, détenu par le major Pierre Buyoya, réforme le système. Il organise une élection présidentielle en juin 1993. Transparent, le scrutin est remporté par Melchior Ndadaye. Un événement en soi, dans la mesure où c’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un Hutu se retrouve à la tête de l’État. Mais l’euphorie est de courte durée : en octobre 1993, moins de trois mois après son élection, Ndadaye est assassiné. Ce sera l’élément déclencheur, quelques mois plus tard, de la longue guerre civile qui va mettre le Burundi à feu et à sang. En une décennie, le bilan est lourd : entre 200 000 et 300 000 morts.
La victoire électorale du CNDD-FDD en 2005 est le résultat d’un très long processus de négociations entre le gouvernement de Pierre Buyoya, qu’un coup d’État avait de nouveau porté au pouvoir en 1996, et les partis politiques burundais. L’initiative du dialogue revient à l’ancien président tanzanien Julius Nyerere (décédé en octobre 1999), soutenu par la communauté internationale. Mais les pourparlers de paix, auxquels les groupes armés ne sont pas conviés, vont traîner en longueur. « Nyerere avait une mauvaise perception de la situation, explique un facilitateur de l’Union africaine à Bujumbura. Il pensait que la crise burundaise était née de problèmes politiques. Pour lui, il suffisait de résoudre ces problèmes pour réduire au silence les groupes armés. D’où l’échec. » Quelques rounds de négociations plus tard, sous l’égide de Nelson Mandela, désigné comme nouveau médiateur, et sous la pression de la communauté internationale, les parties burundaises finissent par s’entendre. Et c’est le fameux accord d’Arusha, signé le 28 août 2000. Il a pour toile de fond la réconciliation nationale, qui passe par un partage obligatoire du pouvoir sur des bases ethniques, à tous les niveaux. Le but est de, partout, rechercher des équilibres, y compris au sein de l’armée nationale, qui, depuis l’indépendance, avait une coloration mono-ethnique.
Les crises de l’après-transition
Une fois installé, en août 2005, dans le fauteuil présidentiel, Pierre Nkurunziza doit tenir compte de ce que lui impose la Constitution : diriger avec les partis qui ont obtenu un certain nombre de sièges lors des élections et réaliser à tout prix un dosage tutsi-hutu au sein de l’ensemble des institutions. Mais, contre toute attente, les problèmes commencent ailleurs : le chef de l’État annonce, en août 2006, la découverte d’un complot ourdi, selon lui, par un ancien président et un ancien vice-président de la transition, Domitien Ndayizeye et Alphonse Kadege. L’arrestation des deux personnalités provoque un tollé général et suscite des interrogations sur les intentions du régime. Au cours du procès, aucune charge n’est retenue contre les accusés.
L’affaire Ndayizeye-Kadege n’est que le début d’une série de crises qui vont mettre à mal le fonctionnement des institutions. La deuxième d’entre elles éclate au sein même du CNDD-FDD, dont le président, Hussein Radjabu, est limogé en février 2007, avant d’être arrêté en avril pour atteinte à la sûreté de l’État. Il purge actuellement une peine de treize ans de prison. La mise à l’écart de Radjabu ravive les tensions au CNDD-FDD. Une vingtaine de députés décident de quitter ses rangs, le privant ainsi de sa majorité au Parlement. Les conséquences de cette guerre intestine ne se font pas attendre. Sans quorum, le Parlement ne peut se réunir pour examiner et voter les lois indispensables au bon fonctionnement du pays. La paralysie est totale. Les principaux partis d’opposition, le Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu) et l’Union pour le progrès national (Uprona), qui participent pourtant au gouvernement, se frottent les mains. Mais ils seront touchés à leur tour par les germes de la division à la suite de manœuvres de débauchage du CNDD-FDD. Après s’être fait hara-kiri, le parti au pouvoir a fini par reconstituer une majorité qui lui permet de reprendre l’avantage. Il reste néanmoins affaibli. Ce qui n’est pas de bon augure : les prochaines élections sont prévues en 2010. D’autant que son programme de gouvernement a pris beaucoup de retard. Et que se passera-t-il le jour où la classe politique décidera de remplacer l’actuelle Constitution de transition…
Gages de bonne volonté
La principale menace qui pesait sur le Burundi jusqu’à l’an dernier venait des FNL-Palipehutu. Considérées comme la dernière rébellion armée et obstacle potentiel au processus de paix et de réconciliation nationale, les FNL ont d’abord signé avec le gouvernement de Pierre Nkurunziza, en juin 2006, à Dar es-Salaam, un « accord de principe en vue de la réalisation de la paix, de la sécurité et de la stabilité durables au Burundi », suivi par un accord de cessez-le-feu en septembre. Mais la méfiance entre les deux camps ne s’était jamais estompée. Résultat : les représentants des FNL à Bujumbura quittent clandestinement la ville en juillet 2007 et, au début de 2008, les attaques des rebelles reprennent. Elles atteignent un point culminant en avril lors d’affrontements avec l’armée nationale. On dénombre une centaine de morts.
Mais le retour à Bujumbura, le 30 mai 2008, du chef des FNL, Agathon Rwasa, après vingt ans d’exil, rassure. Pendant les ultimes négociations avec le pouvoir, il obtient l’essentiel : l’entrée de son mouvement dans les institutions. Nkurunziza s’engage à accorder aux cadres de l’ex-rebellion une trentaine de postes à responsabilité. Le 4 décembre, Rwasa signe une déclaration de cessez-le-feu et, autre gage de bonne volonté, moins d’une semaine après l’engagement du processus de libération des prisonniers des FNL, Rwasa a annoncé, le 9 janvier, que son parti s’appellera désormais FNL tout court, conformément à la Constitution, selon laquelle un parti politique ne doit pas faire référence à une appartenance ethnique.