Egypte- Samir Radwan: «On ne peut pas tout mettre sur le dos de la crise internationale»

www.lesafriques.com - lundi 09 février 2009

Samir Radwan, ex-conseiller du directeur général du Bureau international du travail, dessine les perspectives de l’économie égyptienne dans le contexte de crise internationale. « La crise de la bourse a affecté beaucoup de petits actionnaires, importants du point de vue numérique mais pas du point de vue des valeurs qu’ils détiennent. »

Yassin Temlali : La crise financière internationale affectera-t-elle l’Egypte ?
Samir Radwan : Les effets de la crise financière internationale sur le pays sont maintenant bien connus. Le taux de croissance du PNB mondial a baissé. En 2007, il était de 3,7%. Il a été de 2,5% en 2008 et, en 2009, les projections de la Banque mondiale et du FMI le situent à -1%. Le taux de croissance de l’économie sera ainsi négatif dans la plupart des pays industrialisés. Le commerce international est également en net recul. En 2007, son taux de croissance était de 7,5% et en 2008, il se situerait, selon le FMI, à 2,1%. En 2009, il est prévu qu’il se situe à 2% ! L’Egypte ne peut pas ne pas subir la récession mondiale. Toutefois, l’impact de cette récession sur son économie ne sera pas aussi important que sur d’autres. La part de l’Egypte dans le commerce mondial ne dépasse pas 0,02% et, contrairement à Dubaï par exemple, la quasi-totalité des capitaux du secteur financier égyptien sont des capitaux étatiques.

YT : Quels sont, plus précisément, les effets de cette crise sur l’économie égyptienne ?
SR : Il faut distinguer les effets de cette crise sur le marché financier et ses effets sur l’économie réelle, productive. La bourse égyptienne est petite et très fragile. En réalité, elle avait commencé à entrer en crise en avril 2008, à cause de la "crise des crédits bancaires" dans le monde. Beaucoup d’actionnaires étrangers avaient alors liquidé leurs actions parce qu’ils avaient besoin de liquidités. Ceci a créé une véritable panique qui a accéléré la crise boursière. L’indice boursier égyptien a ainsi perdu 64% de sa valeur depuis le début de la «crise des crédits». La crise de la bourse a affecté beaucoup de petits actionnaires, importants du point de vue numérique mais pas du point de vue des valeurs qu’ils détiennent.
Concernant l’économie égyptienne réelle, la crise financière mondiale aura un impact sur quatre secteurs principaux. Le premier est le Canal de Suez, qui a rapporté au pays 5,2 milliards de dollars en 2008. Jusqu’à maintenant, ses revenus n’ont pas vraiment été affectés parce que beaucoup de contrats étaient en vigueur jusqu’à la fin 2008. Mais ils sont destinés à diminuer, vu le ralentissement prévisible du mouvement de commerce international.
Le deuxième secteur est le tourisme qui, avec des revenus de l’ordre de 10,8 milliards de dollars par an, représente autour de 10% du BNP. Il y a eu un mouvement d’annulations de réservations dans les hôtels de Charm el Cheikh, d’Assouan, etc. Certains chiffres parlent de 20% de réservations annulées, mais ils ne sont pas, de mon point de vue, très exacts.
Le troisième secteur est celui des transferts financiers des travailleurs émigrés qui se sont chiffrés à 8,4 milliards de dollars en 2008. Des éléments indiquent qu’il va y avoir des licenciements de travailleurs égyptiens dans les pays du Golfe. Déjà, en Arabie saoudite, les contrats arrivés à échéance de dizaines de médecins n’ont pas été renouvelés.
Le quatrième et dernier secteur est celui de l’investissement étranger, qui s’est chiffré à 11,2 milliards de dollars en 2007 et à 13,2 en 2008, soit 9% du PNB. Selon le ministère de l’Investissement, il baissera de 20% en 2009.

YT : Est-ce que l’on s’attend particulièrement à une baisse des investissements du Golfe en Egypte ?
SR : Non, bien au contraire. Les investisseurs des six pays du Conseil de coopération du Golfe font toujours confiance à l’Egypte. Ces pays possèdent 1,5 trillion de dollars et leurs investisseurs cherchent des opportunités d’investissements partout dans le monde depuis les événements du 11 septembre 2001. Ils les cherchent dans les « grands pays arabes » comme l’Egypte, entre autres pays. Ces investisseurs recherchent la sécurité pour le futur. La sécurité alimentaire est devenue importante pour les pays du Golfe. C’est ce qui explique la réorientation de leurs investisseurs vers l’agriculture, par exemple, dans des pays comme l’Egypte ou le Soudan, connus pour leurs immenses ressources hydriques.

YT : Quelles sont les projections pour le taux de croissance de l’économie égyptienne ?
SR : Les prévisions du plan quinquennal du gouvernement tablaient sur +8% pour l’année financière 2008-2009. Elles ont été revues à la baisse : à 6%, puis à 5,5% et, maintenant, on parle de seulement 4,5%. Si ces prévisions se confirment, il y aura un fort impact sur le marché de l’emploi. Car il faut savoir que pour un point de moins dans le taux de croissance, il faut compter 0,53% des emplois de perdus. Et qui parle d’impact sur l’emploi parle bien sûr d’impact sur la carte de la pauvreté.


YT : Quels sont les secteurs industriels qui subiront le plus les effets de la récession mondiale ?
SR : Ce sont principalement les secteurs exportateurs : le textile-habillement, les matériaux de construction (céramique, etc.) et la sous-traitance des pièces de rechange pour l’industrie automobile mondiale. Je tiens cependant ici à faire une remarque fondamentale. Il faut distinguer l’impact de la crise financière mondiale sur l’industrie de celui de facteurs structurels : la qualité de la main-d’œuvre, la qualité des produits, etc. On ne peut pas tout mettre sur le dos de la crise internationale.