La France risque de manquer le virage des technologies propres
GUILLAUME SAINTENY EST ENSEIGNANT À L'INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES DE PARIS ET À L'ECOLE POLYTECHNIQUE.
L'essor des « clean tech » représente un des leviers de la croissance économique de demain autant qu'un des moteurs possibles de sortie de la crise actuelle. Pourtant, la France ne semble pas suffisamment bien positionnée pour en tirer parti. L'étude OIT-PNUE (2008) évalue à 1.370 milliards de dollars par an le marché des « produits et services environnementaux » et considère qu'il pourrait doubler d'ici à 2020.
Or, au sein de l'Union européenne, en termes de chiffre d'affaires par habitant, si la France (780 euros) se classe au-dessus de la moyenne, elle est devancée par le Danemark (1.650 euros), l'Autriche (1.260 euros), les Pays-Bas (880 euros) et l'Allemagne (810 euros). Ce rang, globalement modeste, tient à quatre séries de faiblesses.
Tout d'abord, au sein des « clean tech » la spécialisation industrielle de la France n'est pas optimale. Elle est, certes, leader sur l'eau et les déchets, avec des grands groupes comme Veolia ou Suez, mais il s'agit là de secteurs mûrs, à croissance lente (2 à 3 % par an dans les pays industrialisés). A l'inverse, elle est peu positionnée sur les « nouvelles » technologies de l'environnement, appelées à des perspectives de croissance beaucoup plus fortes (les énergies renouvelables, les technologies de stockage de l'énergie, voire même les batteries pour véhicules propres…). Ces filières pourraient représenter un marché mondial de plus de 350 milliards d'euros en 2020 ; elles ne représentent que 1,5 milliard d'euros en France en 2007. Précisément, une des faiblesses importantes des écoentreprises françaises réside dans leur spécialisation dans les technologies curatives et non dans les technologies préventives, les plus intéressantes du point de vue environnemental et économique. Au sein de l'Union européenne, alors que les investissements de prévention représentent plus d'un tiers, et plus de 50 % en Espagne, en Suède, en Autriche, en République tchèque… la France consacre 90 % de ses investissements au traitement de la pollution, contre 10 % à la prévention.
A l'export, deux séries de faiblesses importantes apparaissent. Sectoriellement, la France est devancée dans le domaine de la fourniture d'écotechnologies ou dans celui des études, du conseil et de l'ingénierie par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, voire les Pays-Bas et le Japon. Géographiquement, les marchés des écoentreprises françaises sont essentiellement européens. Or il s'agit là de marchés certes tirés par la réglementation, mais en partie mûrs et donc de renouvellement, plus que d'expansion forte. Cette double spécialisation défavorable ne permet pas à la France de se positionner sur les marchés les plus ascendants des « clean tech ».
Le soutien des pouvoirs publics est insuffisamment structuré. Or le rôle de l'Etat est important dans le domaine des écoindustries, car il s'agit d'un marché dépendant de la commande publique et des évolutions réglementaires. On y constate, de façon générale, un rapport assez net entre une situation de leadership au niveau des normes de protection de l'environnement et la structuration de technologies et d'acteurs innovants. A contrario, les politiques de rattrapage se traduisent souvent par des importations de technologies étrangères. Les énergies renouvelables sont un cas d'école pour la France. Par ailleurs, les écoentreprises ont au sein de l'Etat une trop grande multiplicité d'interlocuteurs (plusieurs directions des ministères en charge de l'Economie, de la Recherche, du Développement durable, ANR, Ademe, CDC, Oséo, Coface, Ubifrance…). De même, le soutien financier public aux « écoPME » semble trop dispersé, voire ciblé de façon non optimale. Ainsi, en 2006, pour le segment de la recherche environnementale couvert par les PME, sur 185 projets aidés, la majorité concernait la gestion des déchets et des eaux usées et des solutions curatives et non préventives. A l'inverse, l'écoconception, sous-secteur dans lequel la France accuse un retard, représentait le type de projets le moins aidé.
Enfin, les « écostart-up » françaises souffrent de difficultés de financement spécifiques. Le secteur du capital-investissement s'est développé de façon importante en France récemment, jusqu'à représenter en 2007, 10 milliards d'euros levés et 12,5 milliards d'euros investis. Mais la part du capital-investissement s'orientant vers les « clean tech » demeure faible. Aux Etats-Unis, les « clean tech » représentaient 5,6 milliards de dollars et 19 % du montant du capital-risque investi en 2008. Avec 120 millions d'euros seulement la même année, la France était nettement distancée, non seulement au sein de l'Union européenne par l'Allemagne (383 millions) et la Grande-Bretagne (347 millions), mais aussi par Israël (247 millions), l'Inde (277 millions) et la Chine (430 millions). Ce retard français semble structurel.
Une véritable stratégie industrielle devrait être élaborée et suivie par la France en la matière. Elle pourrait s'articuler autour de trois grands axes.
Il convient d'abord de développer la R&D dans les secteurs à forte croissance potentielle dans lesquels la France est peu présente : les énergies renouvelables, le stockage de l'énergie, certaines techniques de dépollution des sols et, d'une manière générale, les technologies préventives.
Développer la part de capital-risque consacrée aux « écostart-up » est nécessaire en raison des caractéristiques propres à l'industrie des « clean tech » : intensives en capital, lenteur de certains développements technologiques et de la commercialisation des produits, nouveaux marchés… Une part de l'emprunt d'Etat annoncé pourrait servir à créer un fonds de capital-risque, a fort effet de levier, spécialisé dans les « clean tech ».
Enfin une coordination administrative et une unité d'impulsion semblent souhaitables. Elles pourraient prendre la forme d'une délégation interministérielle ou d'un commissariat qui serait le « point d'entrée » des écoindustries et proposerait les axes d'une stratégie en la matière. Il convient d'agir à la fois sur la demande et sur l'offre. Sur la première, en installant une visibilité forte à moyen et long termes, ce qui suppose des objectifs et normes annoncés a l'avance et une certaine stabilité des politiques suivies.
Sur la seconde, en aidant à la structuration d'une offre de production d'équipements dans les domaines où la France n'est pas encore distancée (véhicule décarbonné…) et dans ceux dans lesquels un saut technologique est possible (capteurs photovoltaïques à couche mince ou intégrés dans les matériaux de construction, éoliennes offshores, stockage de l'énergie…).
Le fait de privilégier les filières préventives ne doit pas, pour autant, conduire à délaisser certains nouveaux services ou solutions techniques sur de nouveaux segments (capture et stockage du CO, dépollution des sols…), s'apparentant davantage à des filières curatives mais pour lesquels existeront à la fois des marchés économiques importants et des besoins environnementaux.
Source: Les Echos