Quand Vladivostok tombera aux mains des Chinois

En quête d'espace (sic...), Pékin lorgne les territoires de son voisin du nord. Et propose de louer Vladivostok pour une somme rondelette. Première étape d'une stratégie à long terme, selon le Moskovski Komsomolets.

30.09.2009 | Oleg Fotchkine | Moskovski Komsomolets

Terminus du Transsibérien, capitale de la région du Primorié, Vladivostok, la plus grande ville de l'Extrême-Orient russe avec 578 000 habitants, attise les convoitises chinoises. Mi-septembre, on apprenait que la moitié de cette ville qui fut fermée aux étrangers par le régime soviétique pourrait être louée à la Chine pour une durée de soixante-quinze ans. Un groupe de travail s'est réuni pour élaborer le plan de développement stratégique de Vladivostok jusqu'en 2020. Sous la direction du maire, Igor Pouchkarev, et des divers responsables municipaux, le projet, baptisé Hai Shen Wei et soumis par le Centre Leontief, un cercle économique de Saint-Pétersbourg, a été approuvé. L'équipe municipale doit désormais transmettre ses propositions à Moscou, à 6 000 kilomètres de là.

La suggestion des experts du Centre Leontief consiste à diviser la ville en deux. Le quartier du 1er-Mai et une partie du quartier Lénine reviendraient à la Chine, qui y installerait une administration dirigée par des fonctionnaires de Harbin, ville chinoise voisine. Pour rejoindre le reste de la ville, il faudrait passer la douane et des postes-frontières. D'après les concepteurs du projet, les Chinois devraient verser 130 à 150 milliards de roubles de loyer, soit environ 3 milliards d'euros, ce qui représente plusieurs fois le budget de la région russe du Primorié. Avec cet argent, Moscou pourrait entretenir la flotte du Pacifique stationnée à Vladivostok ainsi que l'armée, mais aussi renforcer le pouvoir localement.

Hai Shen Wei, le nom du projet, signifie "golfe du tripang", le tripang étant le concombre de mer, cet animal marin très apprécié des gastronomes asiatiques. C'est sous ce nom également que l'on désigne Vladivostok en Chine, alors qu'en russe, Vladivostok signifie "seigneur de l'Orient". Le projet est déjà largement diffusé sur Internet. Les habitants, et les Russes en général, sont loin d'approuver l'idée de céder une moitié de la ville à la Chine. Pour l'instant, le projet n'a pas atterri sur le bureau du moindre représentant de l'Etat, mais il est intéressant de noter qu'il voit le jour à la veille du 60e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, qui sera célébré le 2 octobre 2009, et juste avant la visite du Premier ministre Poutine en Chine.

Pour la plupart des spécialistes, il ne se passera rien de concret cette fois, mais un ballon d'essai aura été lancé. Surtout que cela ne concerne pas seulement Vladivostok ; c'est l'ensemble de l'Extrême-Orient russe, voire de la Sibérie, qui est visé. Ces derniers temps, plusieurs articles de personnalités chinoises ont été publiés, dont un signé par l'ancien ambassadeur en Russie. Il prétend que la Russie est incapable d'exploiter la Sibérie. Depuis 2008, la Chine a renoué avec un programme destiné à récupérer des terres qui se trouvent sous juridiction russe. Les manuels scolaires parlent de territoires pris par la Russie au XIXe siècle et de dignité nationale bafouée. Les villes proches de la frontière ouvrent des musées exposant des copies de traités et d'accords, d'anciennes cartes de géographie, des chroniques historiques dont il découle que les Russes vivent sur des terres chinoises. Le pays produit quantité de documentaires sous-titrés en russe portant sur les questions de frontière avec la Russie. Leurs titres parlent d'eux-mêmes : Russie-Chine, 100 années de guerre, ou L'Histoire du chemin de fer de l'Est chinois [branche du Transsibérien traversant la Mandchourie qui fit l'objet de sanglantes batailles].

Le gouvernement russe ne cesse de répéter que le traité de 2001 a réglé toutes les questions concernant la frontière avec la Chine, mais celle-ci ne semble pas de cet avis. Aujourd'hui, les Chinois ne cherchent pas à s'emparer d'un maximum de territoires, ils se contentent, encore, de préparer le terrain, créent des lobbies, financent des voyages et des conférences scientifiques, proposent de réaliser un suivi commun des problèmes régionaux. Selon le fameux sinologue russe Alexei Maslov, la Russie ne compte, à ce jour, aucun spécialiste apte à apprécier la situation du point de vue de Moscou, car la plupart d'entre eux sont formés dans le cadre de programmes subventionnés par la Chine. Ainsi, le projet Vladivostok n'est qu'un premier pas.

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La frontière russo-chinoise

4 250 kilomètres séparent 7 millions de Russes de 60 millions de Chinois. La frontière russo-chinoise est l'objet de contentieux historiques récurrents. En 1950, un traité d'amitié, d'alliance et d'assistance mutuelle est signé entre Moscou et Pékin. Les relations bilatérales vont se dégrader dans les années 1960, avant de tourner au conflit armé en 1969. Sous Gorbatchev, les pourparlers sino-soviétiques sont relancés et aboutissent à un nouveau traité de délimitation de frontière en 1991. En 1997, un partenariat stratégique est signé entre les deux voisins. Et le 16 juillet 2001, Vladimir Poutine et Jiang Zemin signent à Moscou un traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération.