L'émergence d'entreprises chinoises compétitives

Reto Hess, Equity Research Europe [Credit Suisse]

11.06.2010 La Chine voit peu à peu apparaître des entreprises compétitives, ce qui bouleverse sa structure de marché. Reto Hess, analyste au Credit Suisse, explique pourquoi les entreprises chinoises spécialisées dans les biens d'équipement prospèrent et comment elles conquièrent les marchés étrangers, y compris en Europe et aux Etats-Unis.

La Chine est un marché attractif pour les entreprises européennes spécialisées dans les biens d'équipement, qui sont tentées d'y implanter des sites de production. L'intérêt du pays tient avant toute chose à sa taille, car la population chinoise devrait atteindre 1,35 milliard de personnes courant 2010, mais aussi et surtout parce que son niveau de vie progresse à rythme élevé. En 2050, le PIB par habitant devrait ainsi avoir atteint 34 500 dollars, contre 2300 en 2007. Mais ce n'est pas tout. La Chine est également un site de production très compétitif dans la mesure où le salaire mensuel moyen dans les coentreprises étrangères avoisine les 4000 yuans (858 dollars) pour les ouvriers qualifiés et 1200-1500 yuans pour les travailleurs non qualifiés. Les entreprises occidentales fortement ancrées en Chine se retrouvent dès lors avantagées et affichent des ventes et des bénéfices en forte progression.


Apparition d'entreprises chinoises compétitives
La structure du marché chinois est longtemps restée des plus simples. Les entreprises domestiques étaient essentiellement axées sur des produits bas de gamme peu chers alors que leurs homologues occidentales visaient le haut de gamme. Mais les choses changent. Les entreprises chinoises spécialisées dans les biens d'équipement remontent progressivement dans la chaîne de qualité. Le secteur du transport et de la distribution d'électricité en est un bon exemple. Xinjiang Tebian Electric Apparatus (TBEA) est désormais capable de produire des transformateurs d'une puissance pouvant atteindre 1000 kV, ce qui lui permet de gagner des parts de marché dans le pays au détriment de concurrents étrangers tels qu'ABB ou Siemens. Mais l'apparition d'entreprises chinoises compétitives tient également aux aides apportées par le gouvernement. Certaines d'entre elles bénéficient en effet de politiques favorisant les achats locaux et d'autres sont devenues «champions nationaux» grâce au soutien dont elles ont bénéficié. Il faut toutefois préciser que les entreprises chinoises de biens d'équipement vendent leurs produits entre 20 et 30% moins cher que leurs concurrents étrangers, notamment grâce à des coûts de production moindres et à une meilleure adaptation au marché local. Sans oublier les surcapacités potentielles du secteur des biens d'équipement, qui exercent également une pression sur les prix.

Surcapacités dans le secteur de l'électricité
Les investissements dans les infrastructures, et particulièrement dans la production, le transport et la distribution d'électricité, ont littéralement explosé ces dernières années. S'agissant de la production d'électricité, le Credit Suisse estime que le maximum – hors énergies alternatives et nucléaire – a été atteint il y a deux ans. Depuis lors, les taux d'utilisation des centrales électriques sont tombés au-dessous de 70% du fait de la récession mondiale et du refroidissement de l'activité industrielle qui a suivi la crise du crédit. Les pressions en vue d'une augmentation des capacités de production ont dès lors disparu. Si bien qu'ABB prévoit que les investissements chinois en matière d'électricité vont diminuer de 12% en 2010, un chiffre à comparer avec les 32% de hausse (à 58 milliards de dollars) enregistrés en 2009. Sans compter que le Credit Suisse estime que la demande en équipements de construction va également marquer le pas en 2010 étant donné que le gouvernement chinois cherche à éviter toute surchauffe du marché immobilier. La demande de produits miniers ou liés à la production (roulements, outillages et systèmes d'automatisation) devrait toutefois rester ferme.

Présence sur les marchés émergents et préparation pour les marchés développés
Le Credit Suisse estime que les entreprises chinoises vont continuer à accroître leur compétitivité internationale grâce à une amélioration de la qualité de leurs produits, à des surcapacités sur le marché domestique (obligeant les entreprises chinoises à chercher de nouveaux débouchés) et à un renforcement des réseaux de distribution. Les entreprises de l'Empire du Milieu continuent à exporter essentiellement vers les pays émergents, mais la situation évolue là aussi rapidement tant les acteurs chinois commencent à lorgner vers les marchés occidentaux. Preuve en est l'annonce cette année par le vice-ministre chinois du transport ferroviaire de l'intention du pays de participer à des appels d'offres pour la construction de lignes à grande vitesse aux Etats-Unis.

Si l'accent a jusqu'ici surtout été mis sur l'exportation de produits bon marché, les Chinois sont désormais devenus des concurrents sérieux pour l'attribution de contrats à grande échelle nécessitant un savoir faire technologique de pointe. Shanghai Electric, par exemple, a remporté le contrat de construction d'une centrale au charbon au Botswana alors même que les standards imposés étaient européens, l'entreprise ayant bénéficié de transferts de technologies occidentales dans le cadre de sa participation à des coentreprises étrangères ces dernières années.

La réponse européenne
Comment les entreprises européennes réagissent-elles à cette évolution? En achetant des concurrents locaux afin de pouvoir accéder aux capacités de production et aux réseaux de distribution chinois, mais aussi en acquérant de plus en plus de technologies taillées sur mesure pour le marché local. Les groupes européens augmentent ainsi leurs dépenses de R&D en Chine afin de réduire leur handicap en matière de coûts de production. Afin de toucher des consommateurs plus sensibles au prix, les acteurs du Vieux Continent ciblent pour finir le segment de qualité intermédiaire, à l'image de Volvo Construction Equipment, filiale du suédois Volvo Group, qui vient d'acheter le constructeur local de machines Shandong Lingong Construction Machinery (SDLG).

Le Credit Suisse s'attend toutefois à ce que la Chine demeure un marché très porteur pour les fournisseurs européens de biens d'équipement malgré la baisse prévisible des taux de croissance et des marges bénéficiaires du fait de l'intensification de la concurrence à laquelle elle semble promise. Les sociétés spécialisées dans la production d'électricité (essentiellement via des centrales au charbon) puis dans son transport et sa distribution sont les plus exposées à court terme, devant les équipements de construction (équipements portuaires tels que grues et systèmes de traitement des conteneurs) et les constructeurs de camions. Les équipements à faible voltage ou les fabricants d'outillage semblent en revanche moins menacés par la concurrence.